RIMBAUD : Rêvé pour l’hiver (7 Oct. 1870)
Rêvé pour l’hiver
A*** Elle
L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux. |
Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.|
Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou… |
Et tu me diras: « Cherche! » en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup… En wagon le 7 octobre 1870 |
Plan
1- Un rêve sentimental
2- La comédie de l’amour
3- L’éloge de la sensualitéCommentaire rédigé
Rêvé pour l’hiver est le premier sonnet écrit par Rimbaud durant sa fugue en Belgique. On y observe ce qui est rare dans les sonnets, une alternance d’alexandrins et d’hexasyllabes. L’inspiration se rattache, par le futur des verbes, aux réparties de Nina. Ce poème est inspiré par une curiosité et un désir naissant pour les femmes, on y découvre une vision des rapportsamoureux qui prend l’allure d’un jeu de colin maillard, d’une fête teintée d’érotisme. Le minaudage de la jeune fille ne résiste pas à l’enthousiasme, à l’audace de notre adolescent.
1 Un rêve sentimental
Rimbaud poursuit avec ce poème ce que l’on peut appeler un cycle sentimental commencé avec « Première soirée » et poursuivi par « Roman ». Ces rêves s’appuient sur des expériences probables avec desserveuses de restaurant que l’on retrouve dans « au cabaret vert » ou dans « La Maline ». Avec « Première soirée » la jeune fille est « fort déshabillée », avec « Roman » c’est une « demoiselle aux petits airs charmants », ce sont deux personnages idéalisés qui font frissonner le cœur de notre adolescent comme jadis Timothina Labinette dans « Un cœur sous la soutane ». Le titre « Rêvé pour l’hiver » comporte unverbe au passé, « Rêvé » et une saison, l’hiver qui approche et qui en soit constitue une énigme supplémentaire dans le poème. Le poème est daté et plus encore localisé « en wagon du 7 octobre 1870 ». La date correspond à sa seconde fugue après la première du 29 août à Paris qui se termina en prison pour avoir voyagé en train sans billet. Rimbaud quitte la maison des tantes d’Izambard qui l’avaientrecueilli et ou pendant le mois de septembre il recopiait ses poèmes. Il s’ennuie, la rentrée scolaire n’a pas lieu en raison de la guerre aux portes de Charleville. Il s’agit bien d’un rêve sentimental car la seconde fuite vers la Belgique se fait sans train cette fois, à travers champs. Le poème a une dédicace A***Elle, avec des étoiles pour masquer le nom, étoiles apparues dans « Un cœur sous lasoutane ». Les baisers et la couleur rose font leur retour. Étrange début pour un rêve que de commencer par un verbe au futur, « L’hiver nous irons ». Tout diffère de la réalité qui est ici embellie, le wagon est de couleur rose et les siège en bois d’ordinaire sont ici recouverts de coussins bleus, ajoutant une note de confort au plaisir de se retrouver seuls, « nous serons bien ». Ce wagon semble être unlieu d’aventures amoureuses passées, à chaque coin on en retrouve la trace sous la forme de nids de baisers. On remarquera la similitude entre baiser et becquée et entre le coin du wagon et le nid des oiseaux, lieux des amours. Rimbaud semble ressentir un bien être indéniable, un réel bonheur en compagnie de cette demoiselle.
II-La comédie de l’amour
Le jeu de l’amour et du désir commence parune mise en scène. Dans « Première soirée » ou « Roman », les rapports amoureux se limitaient à un échange de regards troublés de cœur polissons. Ici « Tu fermeras l’œil » qui commence le second quatrain est une invitation à ne pas en rester là, mais à reconstruire les corps, à les deviner, à les imaginer au lieu de les observer, à les magnifier pour en retirer le plus de plaisir. Le rapport amoureux…