Droit de la famille

CCBE / 11-12 décembre 2008 / Intervention Cyril NOURISSAT

PRATIQUER LE DROIT DE LA FAMILLE EN EUROPE LE REGLEMENT « BRUXELLES I »
Bruxelles, le 11 décembre 2008 Cyril NOURISSAT Professeur agrégé des Facultés de Droit Vice Président de l’Université Jean Moulin – Lyon 3

Il existe un paradoxe apparent à évoquer le règlement (CE) n° 44/2001 dit règlement « Bruxelles I » dans le cadre d’unerencontre consacrée à la pratique du droit de la famille en Europe. En effet, une lecture attentive du champ matériel du règlement oblige à constater que le droit de la famille, le droit des personnes est quasi-absent des préoccupations de ce règlement. En effet, l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions constituent une première sérieexplicite d’exclusions que l’on peut présenter comme concernant les personnes physiques et la famille, tant dans leurs rapports patrimoniaux qu’extrapatrimoniaux. Deux séries de précisions doivent être apportées. En premier lieu, il convient de signaler que les droits extrapatrimoniaux de la famille sont désormais, et pour partie, l’objet d’un autre règlement en vigueur depuis le 1er mars 2005, lerèglement (CE) n° 2201/2003/CE, dit règlement « Bruxelles II bis » magistralement présenté il y a quelques instants. On se bornera à rappeler ici que ce règlement contient un considérant dont l’objet est de délimiter les matières qui en relèvent de celles qui sont gouvernées par le règlement « Bruxelles I ». Selon ce considérant – dont la rédaction n’est pas des plus satisfaisantes –, « en ce quiconcerne les biens de l’enfant, le présent règlement ne devrait s’appliquer qu’aux mesures de protection de l’enfant (…) les mesures relatives aux biens de l’enfant qui ne concernent pas la protection de l’enfant devraient continuer à être régies par le règlement du Conseil n° 44/2001/CE ». On ne peut donc totalement exclure des problèmes de « frontières » entre les deux textes. Et il n’est pasà exclure non plus que les futurs règlements envisagés (obligations alimentaires, successions, régimes matrimoniaux…) ne poseront pas les mêmes problèmes de « frontières ». En second lieu, la jurisprudence a clarifié la portée de ces exclusions dans une série d’arrêts, notamment par rapport au sort des régimes matrimoniaux. Face à la diversité des conceptions nationales de cette institution, laCour de justice des Communautés européennes a dégagé une définition autonome des régimes matrimoniaux en tant que matière exclue du champ du règlement. Ainsi, sous l’empire de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, la Cour a pu décider que « la notion de régimes matrimoniaux comprend non seulement les régimes de biens spécifiquement et exclusivement conçus par certaines législationsnationales en vue du mariage, mais également tous les rapports patrimoniaux résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci »1. En revanche, et à l’occasion d’une seconde affaire

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CJCE, 27 mars 1979, aff. 143/78, De Cavel, Rec. CJCE, p. 1055, Rev. crit. DIP 1980, p. 621, note Droz G.-A.L., JDI (Clunet) 1979, p. 681, obs. Huet A., D. 1979, I.R., p. 457, note Audit B.

1 CCBE / 11-12 décembre 2008 / Intervention Cyril NOURISSAT

« De Cavel »2, la Cour de justice des Communautés européennes a clairement confirmé que les obligations alimentaires relevaient du champ de la Convention et, désormais, du règlement comme en dispose d’ailleurs expressément l’article 5, paragraphe 2, du règlement « Bruxelles I ». La question intéressait la prestation compensatoire donton enseigne classiquement en France qu’elle a davantage un fondement indemnitaire qu’alimentaire. Pour autant, la Cour n’hésite pas à faire entrer dans le champ du texte cette prestation compensatoire au motif qu’elle serait bien une obligation alimentaire. C’est là illustrer de manière très nette le caractère autonome des qualifications données par la Cour. Une telle conception extensive a…