Entretien d’un père avec ses enfants, commentaire

1) Les thèses du narrateur, désigné par le pronom « moi » dans le dialogue, et du Docteur Bissei s’opposent tout en étant l’une et l’autre défendables.
(l’étude de l’argumentation n’est pas explicitement demandée, mais elle permet de mieux comprendre les deux thèses en présence).
Selon le narrateur, un médecin ne doit pas porter secours à un malfaiteur, dans l’intérêt de la société.
Sesarguments :
* Si le hasard (maladie ou accident) permet à la société de se débarrasser d’un individu malfaisant, c’est un devoir civique de ne pas contrarier ce hasard : « il y a tant de méchants dans le monde qu’il ne faut pas contrarier ceux à qui il prend envie d’en sortir ». On remarque que le narrateur, qui n’est probablement pas croyant, ne fait allusion qu’au hasard, et non à la Providencedivine qui punirait les méchants. Le devoir civique apparaît dans le passage « il y a une fonction commune à tout bon citoyen, à vous, à moi, c’est de travailler de toute notre force à l’avantage de la république ; et il me semble que ce n’en est pas un pour elle que le salut d’un malfaiteur, dont incessamment les lois la délivreront. » (l. 6 à 8) et à la fin du texte.
* À l’appui de sa thèse,le narrateur donne des exemples, sous forme d’hypothèses : si le docteur doit soigner des criminels comme Cartouche ou Nivet, il expose la société à des dangers nouveaux, et en sauvant la vie d’un individu nuisible, il peut mettre en péril celle de ses propres amis.
Le « discours » présenté entre guillemets dans la grande réplique finale du narrateur résume ces arguments : il y a un cas deconscience (« Je sais bien ce qu’il y aurait à faire pour dissiper ce point de côté qui t’oppresse, mais je n’ai garde de l’ordonner »), mais le bon sens et le civisme (« je ne hais pas assez mes concitoyens, pour te renvoyer de nouveau au milieu d’eux ») dispensent de la pitié. Celle-ci conduirait en effet le médecin à être complice d’un crime : « Je ne serai point ton complice. »
La thèse du docteurest que le métier du médecin est de guérir et non de juger ses semblables, car il n’est pas en possession des éléments lui permettent de porter un jugement infaillible.
Ses arguments :
* À chacun son métier : « je le guérirai, parce que c’est mon métier ; ensuite le magistrat le fera pendre, parce que c’est le sien. » Le médecin n’est pas apte à juger des actions de ses semblables. Même dansl’hypothèse d’un homme dont les crimes soient de notoriété publique comme ceux de Cartouche ou de Nivet, l’erreur n’est pas impossible.
* Les jugements que les hommes portent les uns sur les autres sont subjectifs, et le fanatisme religieux en est le meilleur exemple : « Ce que vous me dites de Nivet, un janséniste me le dira d’un moliniste, un catholique d’un protestant. Si vous m’écartez du litde Cartouche, un fanatique m’écartera du lit d’un athée. » Là encore transparaît l’hostilité de Diderot à l’égard de la religion. Il semble ici tenté d’étendre ses doutes à la notion d’ordre social en général.
2)
a. Le présent de l’indicatif traduit ici une hypothèse : le narrateur, en effet, n’est pas médecin ; il faut donc comprendre : « Si j’étais médecin, je regarderais mon malade… » Lechoix du présent de préférence au conditionnel donne plus de force à l’évocation.
b. On retrouve la même valeur conditionnelle dans « On vous appelle ; vous accourez, vous ouvrez les rideaux, et vous reconnaissez Cartouche ou Nivet. » Là encore, il s’agit de rendre pus vivante l’évocation d’un exemple hypothétique.
3) Le conditionnel dans « On punirait celui qui te recèle dans sa maison, etje croirais innocent celui qui t’aurait sauvé ! » traduit sous une forme exclamative la contradiction contenue dans une hypothèse inadmissible : « punirait » traduit bien ce qui se passe dans la réalité, puisqu’on punit ceux qui hébergent des criminels, tandis que « je croirais » correspond à la conduite que le narrateur refuse de tenir. On peut comprendre : « si j’agissais ainsi, cela…