La guerre dans les liasons dangereuses

Sujet : le thème de la guerre dans les Liaisons Dangereuses.

Rien ne semblait destiner Choderlos de Laclos à devenir l’auteur de l’un des plus célèbres romans de la littérature française : hormis les Liaisons Dangereuses, il ne nous a laissé que des œuvres mineures. Dès lors, l’on peut se demander si sa profession d’officier d’artillerie, fonction semblant à première vueincompatible avec sa vocation d’écrivain, et l’expérience de stratège qu’il en a tirée ne lui ont pas été de quelque utilité dans l’écriture de son roman : les personnages des Liaisons agissent souvent en faisant preuve d’un véritable esprit guerrier, le motif de la guerre est prépondérant dans le roman comme dans son adaptation par Frears et participe à la noirceur de l’intrigue. Comment le thème de laguerre apparaît-il alors de manière détournée, sans la présence directe d’un champ de bataille à proprement parler ou de tout autre élément référant directement à la guerre ? Nous allons dans un premier temps définir les situations dans lesquelles l’on peut dire que nous sommes en présence d’un conflit guerrier. Ensuite, nous verrons comment le motif de la guerre apparaît de façon matérielle àtravers des objets et des lieux symboliques. Enfin, nous expliquerons en quoi les Liaisons développent une opposition entre la guerre que mènent les libertins et la guerre telle qu’on la conçoit dans le sens classique du terme.

Dans les Liaisons, la guerre est conçue la plupart du temps comme une lutte à la fois mentale et physique entre deux individus laissés seul à seul.Parmi toutes les situations qui illustrent ce genre de combat, c’est celle qui oppose le libertin à l’objet de son désir que l’on rencontre le plus souvent. A l’image de Dom Juan, Valmont compare l’activité de la séduction à une activité guerrière : il s’agit de plaire à l’objet désiré en lui lançant des assauts (exhibition de la beauté corporelle et vestimentaire ou du bel esprit, déguisementdu désir en amour, etc.) et en abattant, par le langage et les gestes, les défenses que l’objet désiré, poussé par la vertu, ne manquera pas de montrer. Aussi déclare-t-il à Merteuil, lettre 4 : « Conquérir est notre destin », et lettre 15 : « Je ne vois dans vos Amants que les successeurs d’Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire où je régnais seul » ; Merteuil reprend elleaussi ce genre de métaphores en utilisant dans le premier paragraphe de la lettre 10 un échantillon assez conséquent du lexique de la guerre. Cette guerre de la séduction, on la trouve non seulement dans les relations que Valmont entretient avec Tourvel et éventuellement avec Cécile (nous employons le terme « éventuellement » car l’on peut dire que Valmont n’a pas à se livrer à un combat acharnépour posséder cette dernière) ainsi que dans les relations qu’il a entretenues dans une époque antérieure au début du roman avec ses anciennes maîtresses (parmi lesquelles Merteuil, comme le montre la citation de la lettre 15), mais aussi dans le commerce établi entre Merteuil et ses amants, ou encore entre Prévan et ses maîtresses (en fait, entre tous les libertins du monde aristocratique et leursconquêtes). Pour mieux parvenir à son triomphe, il arrive parfois au libertin d’adopter une stratégie de ruse en faisant croire à l’objet désiré qu’il cède finalement à ses volontés, désarmé devant son obstination. Par exemple, Valmont feint de se résoudre à obéir aux ordres de Tourvel et d’accepter l’amitié qu’elle lui propose parce qu’il voit précisément dans cette feinte le moyen de la vaincre,conscient qu’une femme se laisse plus facilement dominer par son soupirant au moment même où elle croit dominer ce dernier ; cette ruse, qui consiste à feindre d’être vaincu dans le projet de vaincre, est parfaitement illustré par une métaphore guerrière dans la réplique que Valmont adresse à Tourvel dans le film au sortir du bois du Château de Madame de Rosemonde : « Je vous abandonne le…