Les Plaideurs’Acte Petit Jean, traînant un gros sac de procès. Ma foi, sur I’avenir bien fou qui se fira: tel qui rit vendredi, dimanche pleurera. Un juge, I’an passé, me prit à son service; ilm’avoit fait venir d’Amiens pour être suisse’ Tous ces Normands vouloient se divertir de nous: on apprend à hurler, dit I’autre, avec les loups. Tout Picard que j’étois, j’étois un bon apôtre, et jefaisois claquer mon fouet tout comme un autre’ Tous les plus gros monsieurs me parloient chapeau bas: o’Monsieur de Petit Jean, » ah! Gros comme le bras! Mais sans argent I’honneur n’est qu’une maladie’ Mafoi, j’étois un franc portier de comédie: on avoit beau heurter et m’ôter son chapeau, on n’entroit point chez nous sans graisser le marteau’ Point d’argent, point de suisse, et ma porte étoit close’Il est vrai qu’à monsieur j’en rendois quelque chose: nous complions quelquefois. On me donnoit le soin de fournir la maison de chandelle et de foin; mais je n’y perdois rien. Enfin, vaille que vaille,j’aurois sur le marché fort bien fourni la paille’ C’est dommage: il avoit le cæur trop au métier; tous les jours le premier aux plaids, et le dernier, et bien souvent tout seul; si I’on I’eût voulucroire, il y seroit couché sans manger et sans boire. Je lui disois parfois: « Monsieur Perrin Dandin, tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin: qui veut voyager loin ménage sa monture.Buver, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. » il n’en a tenu compte. Il a si bien veillé et si bien fait, qu’on dit que son timbre est brouillé. Il nous veut tousjuger les uns après les autres. Ilmarmotte toujours certaines patenôtres où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré, ne se coucher qu’en robe et qu’en bonnet carcé’ Il fit couper la tête à son coq, de colère, pour I’avoiréveillé plus tard qu’à I’ordinaire; il disoit qu’un plaideur dont I’affaire alloit mal avoit graissé la patte à ce pauvre animal. Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire, son fils ne souffre…