Montaigne

536 ESSAIS DE MONTAIGNE.
CHAPITRE XL
Des boiteux.
Il y a deux ou trois ans qu’on accourcit l’an
de dix iours en France Combien de changements
doibvent suyvre cette reformation 1 ce feutproprement
remuer le ciel et la terre à la fois. Ce
lieantmoins, il n’est rien qui bouge de. sa place;
mes voysins treuvent l’heure de leurs semences,
de leurrecolte, l’opportunité de .leurs négoces, lesiours nuisibles et propices, au mesme point iustement
oùils les avoient assignez de tout temps
ny l’erreur ne se sentoit en nostre usage, ny l’amendement
ne s’y sent; tant il y a d’incertitudepar tout tant nostre appercevance est grossiere,
obscure et obtuse On dict que ce reiglement se
pouvoit conduire d’une façon moins incommode,
soubstrayant, à l’exempled’Auguste, pour quelquesannées, le iour dubissexte, qui, ainsi comme
ainsin estmi iour d’empeschement et de trouble,
iusques à ce qu’on feust arrivé à satisfaire exacment
ce debte ce que mesme on n’a pas faict
par cettecorrection, et demeurons encores en
arrérages de quelques iours; et si, par mesme
moyen, on pouvoit prouveoir à Tadvenir, ordonnant
qu’aprez la révolution de tel ou tel nombre
d’années, ce iourextraordinaire seroit tousiours
éclipsé; si que nostre mescompte ne pourroit
d’ores en avant excéder vingt et quatre heures.
Nousn’avons aultre compte du temps que les ans
il y a tantde siècles que lemonde s’en sert et si
c’est une mesure que nous n’avons encores achevé
d’arrester et telle, que nous doubtons touts les
iours quelle forme les àùltres nations luy ont diversement
donné, et quelenestoit l’usage. Quoy,
ce que disent aulcuns, que les cieux se compriment
vers nous en vieillissant, et nous iectent
en incertitude des heures mesme et des iours, et
des mois? ce que dict Plutarque*,qu’encores
de son tempsl’astrologie n’avoit sceu borner le
mouvement de la lune nous voylà bien accommodez
pour tenir registre des choses passees 1
le resvassoy présentement comme ie fois…