EXISTE-T-IL VRAIMENT UNE COMPTABILITÉ CRÉATIVE ? Hervé Stolowy, Groupe HEC, département comptabilité – contrôle, expert comptable diplômé 1
INTRODUCTION La comptabilité créative : il est difficile de trouver un sujet ayant fait l’objet d’autant de publications récentes, tant dans la presse économique de grande diffusion que professionnelle 2. Une présentation des articles publiés sur ce thème(§ 1) nous permettra de montrer (§ 2) qu’à notre avis, le concept de comptabilité créative est une pure illusion permettant à certains journaux, magazines, (voire éditeurs), d’accroître leur tirage après avoir découvert que la comptabilité n’était pas une science exacte… Il existe en effet une confusion nuisible entre la comptabilité dite créative et l’existence de nombreuses options qui sontexercées dans le domaine comptable depuis fort longtemps (§ 3). Ces « options » correspondent tant à de véritables choix comptables (options au sens strict) qu’à l’existence d’une relative liberté d’appréciation et et d’une certaine subjectivité dans l’évaluation. 1 – UNE RAPIDE REVUE DE PRESSE Les débatteurs de la presse économique font preuve d’une grande richesse de vocabulaire sur ce thèmepuisque, à leurs yeux, la comptabilité prend plusieurs caractéristiques auxquelles le discours traditionnel ne nous avait pas habitué. 1.1 La comptabilité qualifiée d’art Plusieurs articles témoignent de cette tendance : l’art de truquer un bilan (Jean-Jérôme Bertolus, 1988) ; l’art de calculer ses bénéfices (Maryvonne Lignon, 1989) ; l’art de présenter un bilan (Isabelle Gounin, 1991) ; les provisionsou l’art de mettre de l’argent de côté (Didier Pourquery, 1991). D. Ledouble n’hésite pas à qualifier la comptabilité d’art plastique3. 1.2 Les états financiers vus comme des êtres humains Les comptes4 « prennent vie » puisqu’ils peuvent faire l’objet de nombreux rapprochements avec l’être humain. L’un des premiers articles portant, à notre connaissance, sur ce qui allait devenir la « comptabilitécréative »5, représentait un commissaire aux comptes ventripotent tenant dans ses bras une danseuse dont la tenue vestimentaire (fort légère) était agrémentée de chiffres. Cette image a
1 Nous tenons à remercier Yvon Pesqueux, Professeur au Groupe HEC, pour les commentaires qu’il nous a
faits sur une première version de cet article. 2 Voir en fin d’article l’abondante (mais non exhaustive)bibliographie. 3 La créativité en comptabilité. Semaine Juridique (J.C.P.), Ed. E., Droit comptable, 25 février 1993, n° 224. 4 Sauf précision, le concept de « comptes » est utilisé dans cet article au sens de comptes annuels ou comptes consolidés. 5 Bertolus Jean-Jérôme : L’art de truquer un bilan. Science & vie économie n° 40, juin 1988, pp. 17-23. 1
finalement fait son chemin puisque de nombreuxarticles ont voulu montrer que, à l’instar d’une danseuse, les comptes doivent être : . (plus ou moins) habillés (le window-dressing ou l’habillage des bilans, Janin Audas, 1993 ; Habiller ses comptes, Pierre Adege, 1994) ; . après avoir été nettoyés (Comment les banques nettoient leur bilan, Anne Feitz, 1994 ; la BIMP innove pour nettoyer son bilan, Anne Feitz, 1994 ; Club Méditerranée – Lenettoyage des comptes, Nathalie Silbert, 1994) ; . et toilettés (Elf toilette ses comptes avant la privatisation, Jean-François Polo, 1994). Ils peuvent être : . maquillés : rimmel d’amortissements, fard de provisions (Pierre Adege, 1994) ; . embellis (Pour embellir ses comptes, Thomson cède ses brevets. Paul Loubière, 1992), . ou avoir le visage fiscal lifté (Habiller ses comptes, Pierre Adege, 1994).Notre danseuse se transforme en bête de foire si l’on admet que les amortissements puissent être musclés et les provisions galbées (Habiller ses comptes, Pierre Adege, 1994). Le parallèle avec notre danseuse cesse d’être pertinent pour remarquer que les comptes sont éventuellement : . plombés ou, au contraire, . dopés (Les résultats de Thomson dopés par ses brevets, François Roche, 1992 ; 10…