Peut on juger objectivement de la valeur d’une culture

Introduction

L’ethnocentrisme est la tendance poussant un groupe social à évaluer les autres par rapport à lui-même, comme s’ils devaient s’y rapporter à la manière des points de la circonférence du cercle à son centre. L’ethnologie en fait la critique en objectant que l’on ne peut juger de la valeur d’une culture à partir d’une autre, car le jugement que l’on formule ainsi n’est pas objectifet neutre, mais subjectif et partisan. Peut-on juger objectivement de la valeur d’une culture ? La question porte ici sur la valeur de nos jugements de valeurs sur les cultures : il convient de s’interroger sur leur nature, leur fondement et leur objet, afin de savoir si la culture peut être un objet de science. Le premier problème est celui de l’objectivité des jugements. Il s’agit de savoirs’ils peuvent être objectifs et témoigner de la véritable nature de leur objet, ou subjectifs et nous renseigner seulement sur la valeur de ceux qui les portent. Existe-il un critère universel, transcendant les différentes cultures, permettant de juger objectivement de leur valeur, ou ne peut-on échapper au relativisme culturel, car il n’y a en la matière que des normes particulières ? Le deuxièmeproblème est celui de la légitimité de nos jugements de valeur sur les cultures. Il faut en effet noter que la valorisation de l’objectivité et de l’universalité est un fait culturel, qui apparaît dans une société donnée, à un moment déterminé de l’histoire des hommes. Rien ne dit que cette particularité culturelle consistant à revendiquer l’universel autorise effectivement ceux qui la portent àjuger les autres. Une culture peut-elle en étudier objectivement d’autres en développant une science adéquate ? ou son désir de les connaître n’est-il qu’une autre forme de son désir de dominer ? Le troisième problème que posent nos jugements de valeurs sur les cultures est celui de leur hiérarchie. Chaque culture a en effet un système de valeurs qui lui est propre. Mais ces systèmes diffèrent moinspar leurs contenus – tous les peuples ayant finalement les mêmes valeurs – que par la hiérarchie qu’ils établissent entre elles. Les valeurs relatives des différentes cultures peuvent-elles s’intégrer à une échelle de valeur unique, permettant de juger objectivement de chacune ? ou faut-il en accepter l’hétérogénéité radicale, en cherchant à les comprendre plutôt qu’à les juger ? Il s’agit desavoir s’il existe un critère de jugement valable en matière de culture, sachant qu’il sera forcément issu d’une culture particulière. Conduit-il à établir une hiérarchie entre elles ? Quelle vérité la science peut-elle nous livrer ici ?

I. L’universalité fait la valeur des cultures

La valeur d’une culture est selon Hegel proportionnelle à son universalité : elle en a d’autant plus qu’elleparvient à faire progresser toutes les autres en réalisant une fin qui lui est propre. Cette aptitude à dépasser le particulier pour rejoindre l’universel est selon lui le critère qui permet d’en juger objectivement au travers de ses réalisations. Il faut se souvenir que l’histoire est pour lui « la représentation de l’Esprit » (La Raison dans l’histoire, II, 1, 3). Ce n’est pas une suite désordonnéed’événements dont les résultats s’annulent dans le temps, mais un processus dialectique à l’issue duquel l’Esprit parvient à réaliser ses fins en utilisant des éléments qui lui sont originellement opposés. Elle a un sens et un but, qui est de réaliser la fin essentielle de la raison et de l’humanité : la liberté. Chaque peuple et chaque culture particulière sont appelés à faire progresser cettedernière vers sa fin ultime, nous dit Hegel. C’est sa raison d’être. Le particulier, quel qu’il soit, peut ainsi être conçu comme un moment du développement de l’universel. C’est ce qui lui donne du sens et sa valeur selon notre auteur. Cette remarque vaut pour les peuples, les histoires nationales et les cultures particulières. Tous doivent s’intégrer à l’histoire universelle suivant un ordre…