Sujet :La pensée de Paul Valéry dans l’amateur de poèmes
Paul Valéry fut le disciple admiratif de Stéphane Mallarmé. Ce dernier, professeur émérite de toute une génération d’auteurs, tels Gide ou Claudel, posa à la littérature l’ultime question de son origine, lors de l’ouverture d’une conférence sur Villiers de l’Isle-Adam en février 1890: « Sait-on ce que c’est qu’écrire? ». Il luidemande à partir de quoi elle est ce qu’elle est. Il l’interroge sur son essence même. Il étudie la nature même de ce geste apparemment si simple: écrire. Il ne demande pas pour qui, comment, ni même pourquoi l’on écrit; il veut savoir ce qu’est l’écriture. Il propose contrairement aux discours romantiques sur l’inspiration et l’expression personnelle, de s’attacher plutôt à la pratique et au travail.Il met l’accent sur l’acte, sur l’étendue de la tâche à accomplir et sa contrainte. Ecrire est pour lui tout d’abord un travail: et un travail de la langue. Valéry fut très marqué par l’influence mallarméenne et développa cette idée, selon laquelle le travail du langage prime sur l’inspiration pythique. Le « poète inspiré » est dès lors descendu de son piédestal, déchu. Valéry nous propose, dansson recueil Album de vers anciens publié en 1920, un texte en prose au titre ambigu « L’Amateur de poèmes », composé en 1906. Ce texte traite paradoxalement de la poésie versifiée classique. Ce paradoxe est d’autant plus important que ce texte a une typographie qui rappelle celle d’un poème. Il se révèle être, en réalité, un court essai critique sur un art poétique, qu’il nous présente de manièrequasi scientifique. Plusieurs questions se profilent alors à la lecture de ce texte, à savoir : quelle conduite adopter lorsqu’on est amateur de poèmes? Comment célébrer le poème, dans la lecture, comme dans l’écriture ? Et comment par un travail rigoureux et laborieux sur langage, le poète peut offrir à son lecteur une pensée cohérente et achevée, dont la plénitude touche à son paroxysme dans levers régulier ? Nous tenterons de répondre à ces questions à travers l’analyse de l’art poétique de Valéry.
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Dès l’ouverture du texte, nous, lecteurs, nous trouvons dans un système hypothétique introduit par « SI ». Cette conjonction contamine dès lors le premier paragraphe, car tout découle de cette supposition. Cette structure syntaxique ressemble sensiblement auxthéorèmes scientifiques, et annonce un discours organisé, construit, voire presque mathématique. Or, le sujet de ce texte est l’art de vivre la poésie, et il n’est pas courant, surtout à cette époque, de développer une « théorie » quasi-systémique à ce sujet. L’emploi du présent à valeur gnomique renforce cette idée : « un poème est une durée ». Pourtant Valéry attache une réelle importance au travailconstruit et constructif dans la poésie, cela s’explique peut-être par son goût prononcé pour les sciences, et notamment pour l’algèbre et l’architecture. Ce court essai critique incarne un paradoxe : il est écrit en prose et traite de la poésie. En outre, la structure typographique de ce texte et la présence d’un pareil titre « L’amateur de poèmes » laissait supposer, à la simple vue d’ensemble, quece texte n’était pas autre chose qu’un poème, on peut alors dire que la forme suggère le sens. Mais cet horizon d’attente est bien rapidement déçu, lorsque le lecteur regarde le texte de plus près : il n’y a pas de vers et bien que le vocabulaire soit recherché et les phrases scandées et qu’une certaine musicalité naisse de ces phrases, on ne peut affirmer avec certitude que ce texte est unpoème, et que sa prose est assurément poétique. Comment peut-on dès lors expliquer ce jeu de Valéry? Selon lui, la prose a pour objet d’être comprise, elle s’adresse directement au lecteur lui transmettant des renseignements à comprendre. La poésie, par contre, est exécutée pour elle-même. Or ici ce texte a une réelle visée didactique, puisque Valéry y énonce un « théorie » sur la manière de vivre…