Le grand troupeau, jean giono, commentaire linéaire

Commentaire linéaire :
Jean Giono, Le Grand Troupeau

Le Grand Troupeau , publié en 1931, est un roman de Jean Giono. Cette oeuvre est, pour notre auteur devenu profondemment pacifiste après avoir découvert les horreurs de la Première Guerre Mondiale, une manière d’en dénoncer l’absurdité. Le roman nous présente en effet deux personnages au front, Olivier et Joseph, perdus au milieu desmassacres et loin de leur campagne. Sur fond de Provence, Giono dénonce ici cette guerre qu’il haït tant. Notre extrait, tiré de la seconde partie du roman, se situe dans le chapitre intitulé “Et il n’y aura point de pitié”. Celui-ci offre aux lecteurs une description d’une campagne provençale délaissée par les hommes, où la nature a reprit ses droits. Alors comment ce paysage, si loin du front, nousoffre-t-il tout de même une vision de la guerre ? Et en quoi l’image d’une terre en jachère forcée permet-elle la critique de cette guerre ? C’est ce que nous laisse découvrir Giono, à travers cet extrait, que l’on divisera en deux mouvements : le premier, de la ligne 1 à la ligne 29, qui décrit cette ancienne terre cultivée et désormais à l’abandon à travers la figure d’un vieux paysan, et ledeuxième, de la ligne 30 à la fin, laissant place au narrateur.

Notre extrait s’ouvre sur l’image classique d’une belle matinée provençale. Le narrateur nous fait ici les témoins privilégiés d’une nature encore endormie qui s’éveille peu à peu : « l’air jaune, tout doré, à moitié chaud à moitié froid » (l.2) sous-entend la moiteur d’une nuit qui se termine, laissant place au paisible rituel del’aube, que seul vient perturber le souffle du vent, annonciateur de l’éveil de cette nature. Au milieu de ce paysage apparait une figure, celle du « papé », qui vient perturber cette description idyllique d’un monde en paix. En effet, cet homme, de par son comportement, annonce une rupture avec l’atmosphère jusqu’alors teintée de légèreté : il porte un grand chapeau noir, qui lui cache les yeux, etmarche tête baissée. Celui-ci se fraye un passage dans un paysage que nous découvrons peu à peu et qui semble plus sauvage que ne nous le laissaient présager les prémisces du passage. Cet homme, qui a l’apparence d’un vieux paysan en deuil, semble regretter quelque-chose, comme nous l’indique l’emploi du verbe « falloir » au conditionnel passé (l.7). Il cherche ses marques dans un lieu qu’il ne reconnaitplus, repère à peine le chemin « tout rétréci » (l.9), qui a « l’épaisseur d’un fil » (l.11), envahi par les mauvaises herbes, qu’il juge « arrogantes » (l.9) : toute l’amertume du « papé » se perçoit dans cette description des herbes folles ; en effet, la nature sauvage a reprit le pas sur une terre autrefois cultivée. Désormais, « il ne passe plus guère d’hommes là-dessus » (l.11-12) car ces dernierssont partis pour d’autres champs : les champs de bataille. Le vieil homme est seul face à une nature qui reprend ses droits, et cette terre, autrefois fertile, est mise à mal : les « grosses cigües » (l.12), qui sont des plantes toxiques, envahissent les tracés réservés aux voitures (qui ne passent plus), tandis que la « dartre » (l.15) empoisonne la terre. Giono nous décrit ici les conséquencesindirectes de la guerre sur les campagnes françaises, livrées à elles-même lors de la Première Guerre Mondiale, à travers les yeux du monde paysan (sous la figure du « papé »). Face à ce débordement de la nature, à cette invasion, le « papé » se bat avec ce qu’il possède : avec ses « gros souliers à clous » (l.17), celui-ci tente vainement d’éradiquer ces herbes malvenues, appuyant « fort sur les herbes pour lesécraser, pour laisser sa trace, pour défendre le chemin, le passage des hommes » (l.17-19) : l’Homme ici ne domine plus la Nature, et doit lutter pour revendiquer ce qu’il avait acquit. Mais ce geste du vieil homme est aussi et surtout l’illustration de sa colère envers une guerre insensée, qui lui a ravit des enfants, et non pas seulement des ouvriers. La phrase « Ah ! Il n’avait pas besoin de…