La crise

ANTHROPOLOGIE DE LA CRISE FINANCIERE
Bernard IBAL, Professeur au Groupe ESC Clermont. en partenariat avec Andrés ATENZA, Directeur Groupe ESC Clermont

La crise financière est-elle une crise financière ? Est-elle un accident de parcours ? une erreur d’aiguillage dans l’histoire ? A entendre les politiques et les économistes, tout porte à croire qu’il s’agit d’une mauvaise gestion de lamondialisation libérale et de manquements graves à l’éthique. Les hommes ont mal usé de leur liberté et mal assumé leur responsabilité. Il suffit d’un sévère rappel à l’ordre éthique et juridique de la raison et la crise devrait s’estomper. Mais personne ne se demande si, plus dangereusement et plus profondément, la raison humaine ne serait pas elle-même « perverse » au point d’entraîner l’humanité dansle désarroi. Saussure, Lacan et Lévi-Strauss ne nous ont-ils pas appris que l’homme est asservi à des structures symboliques qui guident ses comportements ? Or l’ordre monétaire et l’ordre financier sont avant tout des ordres symboliques. Dans ce cas, la soi disant crise financière ne serait pas une crise accidentelle, mais la résultante incontournable de la nature profonde de l’homme et de sesstructures symboliques. « Les symboles monétaires et financiers sont plus réels que ce qu’ils symbolisent » pourrait-on dire en plagiant Lévi-Strauss. Dans ce cas, aucune mesure économique, aucune décision politique ne peut donc avoir prise sur cette réalité anthropologique irréfragable.

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Anthropologie classique : tenter de contrôler l’intérêt égoïste par la raison universelle. A qui lafaute ? Voilà bien une question de l’humanisme classique : il nous faut un coupable. Pour Descartes, il n’y a guère de place pour l’erreur car la raison bien utilisée ne saurait se tromper. La défaillance ne peut être qu’une faute : la volonté ne s’est pas tenue « dans une ferme et constante résolution » de suivre la voie de la raison (formule répétée dans toute son œuvre ) . Par sa liberté, l’homme afailli. Il est donc responsable. Kant confirme : même « déterminé » par son hérédité, son éducation et ses fréquentations, le menteur aurait pu choisir de ne pas mentir (p.405 et sq. « Critique de la raison pure »). Le trader est d’office le bouc-émissaire emblématique. Il faut bien reconnaître qu’en « jouant » des dizaines de milliards d’euros sans en référer (ou presque) à personne et sansrisque, le trader fait figure de diable de la finance, c’est l’homme de tous les périls.

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Encore plus subtil est de transformer les victimes en coupables : la crise des subprimes serait la faute des emprunteurs trop pauvres pour emprunter ! Libération s’indigne : « On entend dire : « La crise, c’est la faute des emprunteurs ! » Scandaleux ! Toute la chaîne est impliquée : brokers, agence denotation et les marchés des capitaux qui se sont gardés de regarder sous les jupons. » John Taylor, président de l’ONG qui assiste les emprunteurs de subprimes (Libération du 17/09/07). Sous quels jupons fallait-il chercher le vice ? Le Monde le sait et pour une fois ne mâche pas ses mots : « Bien à contrecoeur la BCE accorde l’impunité à des profiteurs, des voleurs, des spéculateurs et desimbéciles. La crise n’est pas due à une néfaste « financiarisation » de l’économie. La finance moderne, libéralisée, globalisée, a des vertus immenses » Eric Le Boucher Le Monde 9-10/09/2007. Le Monde n’hésite pas à donner dans le manichéisme des gentils et des méchants. La BCE et la financiarisation de l’économie sont dans le camp des anges, ça ne semble pourtant pas une évidence ! La dichotomie dujournal de référence blanchit les institutions monétaires et la logique saine de la finance. Le mal n’est pas dans les structures, mais dans les hommes : « profiteurs, voleurs, spéculateurs, imbéciles » ! D’un côté la rationalité du système qui ne peut pas être mauvaise ; de l’autre les bas instincts des intérêts égoïstes. On croit relire le Traité des passions de Descartes ! Pour que tout rentre…