L’ « Elégie à Janet peintre du Roy » : un éloge de la poésie ?
L’ « Elégie à Janet peintre du Roy » paraît en novembre 1554 (1555 si l’on en croit le fac-similé de la page de titre[1]) dans Les Meslanges, un recueil que Ronsard dédie à Jan Brinon. Ce conseiller au Parlement de Paris était l’un des principaux mécènes de l’époque et recevait souvent les poètes de la Pléiade, comme entémoignent les nombreux éloges que lui consacrent Dorat, Du Bellay, Baïf, et bien d’autres[2]…Constituée formellement de 172 décasyllabes en rimes plates, l’ « Elégie à Janet… » est notamment marquée par l’influence du Recueil anacréontique, qu’H. Estienne venait de publier en mars 1554 : les échos à l’ode XXVIII, portrait d’une maîtresse absente, et à l’ode XXIX, portrait du mignon du poète, Bathylle, ysont très présents.
Comme le suggère le titre, c’est à Janet que Ronsard s’adresse dans ce poème. On reconnaît sous le diminutif de « Janet »[3] François Clouet[4], alors peintre officiel à la cour de François Ier. Le commentateur de l’œuvre de Ronsard, Muret, le décrit comme un « peintre tres excellent […] qui, pour representer vivement la nature, a passé tous ceux de nostre aage en sonart »[5]. La grande majorité de sa production, comme celle de son père Jean, est constituée de portraits dessinés ou de portraits peints : il peut à cet égard être qualifié de véritable portraitiste, contrairement à la plupart des peintres, dont la pratique du genre n’est qu’occasionnelle.
Ronsard lui demande dans l’Elégie de réaliser le portrait de la femme aimée – Cassandre trèsprobablement[6] :
Pein moy, Janet, pein moy, je te supplie,
Sur ce tableau les beautez de m’amie
De la façon que je te les diray. (v. 1-3)
L’incipit, d’ailleurs très proche des odes citées du Recueil anacréontique[7], marque bien la présence des deux instances de l’énonciation, le « je » du poète et le « tu » du peintre – remarquons en particulier l’expression très forte dela première personne, avec pas moins de cinq occurrences du pronom personnel ou de l’adjectif possessif[8]… Ces premiers vers soulignent aussi – par le déictique « ce » – le tableau que le poète commande à Janet. Or, et c’est là un des traits essentiels de cette Elégie, articulée tout entière autour de « ce tableau »[9], l’œuvre en question n’est pas présentée dans son état final, mais dans sonprocessus d’élaboration et de réalisation. Le poète multiplie les injonctions directes ou indirectes[10] afin de dicter à Janet le contenu d’un portrait que le présent d’énonciation déroule peu à peu. Les adverbes temporels mettent en évidence la progression temporelle du texte et du tableau : « fay luy premier » (v. 11), « fay luy après » (v. 31, v. 57, v. 73, v. 111), etc.. L’accent se porte ainsisur le geste créateur de l’artiste. D’une certaine façon, le lecteur a l’impression d’assister à la naissance du tableau, pictural en même temps que poétique…
Comment comprendre dès lors le lien qui se tisse au fil du texte entre poésie et peinture, entre le poète et le peintre ? Ronsard veut-il simplement mettre en lumière le travail de Janet et lui rendre hommage ? On peut le penser, euégard à l’ouverture et à la clôture du poème, qui vient comme consacrer l’œuvre du portraitiste – la dame est si bien représentée qu’elle semble sur le point de parler (v. 169-172) : le titre de l’Elégie trouverait par là sa justification… Pour apporter quelques éléments de réponse, il s’agira de bien examiner la manière dont Ronsard définit explicitement le type de tableau exigé. Mais il s’agirasurtout de procéder à l’analyse de la description poétique de Cassandre. Car en donnant son évocation des beautés de la dame comme modèle pour le portrait peint, Ronsard introduit inévitablement une forme de tension entre les deux arts : détaille-t-il chaque partie du corps en vue de guider le peintre dans l’exécution de son tableau ? Dans quelle mesure ses indications peuvent-elles servir de…