Quel avenir pour Internet ?
Quelques dates clés :
2008 : Création du site www.viedemerde.fr
2018 : Le site atteint 17,5 millions de connexions par jour
2038 : Le site atteint 65 millions de connexions par jour
2049 : Perte de l’anonymat : les membres postent sous leur vrai nom, et peuvent citer le nom et l’adresse des « bad guys » de leurs anecdotes
2050 : Vie De Merde devient une propriétéde l’état, qui s’en sert comme tribunal. Les juges et jurés ne sont autres que la population française.
2052 : Du pouvoir judiciaire, le principe s’étend également au pouvoir législatif. Le gouvernement n’a plus qu’un rôle symbolique et tend à disparaître : c’est la population qui, grâce à Internet, propose et vote les lois, au suffrage universel direct.
Ainsi donc Internet rend possible laparticipation de chaque internaute (entendez de chaque citoyen) à la vie politique. Internet s’impose naturellement comme le moteur de la première vraie démocratie de l’Histoire ; la démocratie n’est plus un simple concept, une notion, un idéal que l’on tente seulement d’approcher.
C’est donc en 2054, en France, dans le pays des Droits de l’Homme, nation parmi les premières à avoir jamais tranchéune tête royale, que s’impose cette société égalitaire, basée sur le noble principe du « pouvoir par le peuple ».
Cette année, le 16 novembre succède au 15 du même mois. C’est un jour comme les autres pour tous les citoyens, sauf pour ceux qui y fêtent leur anniversaire et qui ont passé une journée d’angoisse dans l’attente de congratulations traditionnelles, aboutissant aux ruminations noires etcaverneuses, devant le silence de leur téléphone portable. Mais ces épisodes familiaux isolés n’ont aucune incidence, du moins directe, sur les méandres de la vie du héros que je propose au lecteur de suivre dès à présent.
Yvan Olegskov Serguoïovich Rachmaninoff est de retour de son travail. Que faut-il savoir de ce quinquagénaire aux manteau, gants et chapeau noirs, qui marche tranquillementdans la fraicheur automnale parisienne ? Pour commencer, Yvan Olegskov Serguoïovich n’est pas né le 16 novembre, mais le 24 juillet. Il n’est donc pas concerné par ces rituels aux lueurs des bougies (symboles des années) de gastronomie copieuse, qui ont pour rôle de récompenser le mérite d’être né.
Il faut aussi apprendre que son nom dépaysant lui a été légué par ses parents expatriés en Francedepuis quelques générations déjà, et que de ce fait, et bien que sa bibliothèque soit d’avantage garnie de Stravinski que de Maurice Ravel, et de Eisenstein que de Jean-Pierre Jeunet, Yvan Olegskov Serguoïovich Rachmaninoff est Français dans l’âme, le cœur, et de par le droit du sang.
Yvan S. Rachmaninoff habite au n°6 du Square de Port Royal. Cette information lui est utile pour retrouver son cheminau sortir du RER, mais n’apporte rien au lecteur. Je lui propose d’ailleurs de se projeter de quelques minutes dans le futur, afin d’aborder ce récit à un stade où il devient intéressant. Nous sommes donc contraints de couper la scène du vendeur algérien de marrons chauds, du cocker affectueux de la petite fille aux nattes, et de la petite frayeur passagère d’Yvan croyant avoir perdu ses clés,parce qu’elles avaient glissé dans la doublure de son habit.
Abrégeons donc :
Yvan est maintenant paresseusement assis dans son sofa. Il tient un verre de whisky dans la main gauche, et sa souris dans la main droite, grâce à laquelle il ouvre son navigateur internet pour consulter ses messages. Passons sous silence le contenu de sa messagerie privée : Yvan a le droit d’avoir sa vie, etl’intimité que demande sa pudeur. Sa messagerie professionnelle en revanche, de par son caractère moins personnel, peut être vue du lecteur par-dessus l’épaule d’Yvan, sans que celui-ci ne rougisse. En effet la lettre de licenciement envoyée à Thomas S., son subordonné qui ne méritait pas un centime du salaire qui lui était alloué, n’a aucun caractère secret, pas plus que la demande d’embauche d’une…