Flaubert
l. LA TENTATION ROMANTIQUE. Le premier de ces «bonshommes», c’est l’admirateur de Hugo, l’héritier de René, grandi en plein romantisme et « ravagé » par la passion dès l’adolescence, s’abandonnant au délire de l’imagination avec « un infini besoin de sensations intenses ». A partir de 1849, la discipline réaliste va brider,
mais non briser cette nature fougueuse: saCorrespondance en fait foi, FLAUBERT restera un cœur sensible et vibrant, plein de tendresse et d’enthousiasme. Si son réalisme lui impose de « peindre des bourgeois » dans Madame Bovary, l’Éducation sentimentale, Bouvard et Pécuchet, il s’offre la revanche de libérer son imagination en écrivant Salammbô, la Tentation de Saint Antoine, la Légende de Saint Julien, Hérodias. Et, même dans les œuvres«bourgeoises », c’est avec une secrète délectation qu’il évoque — fût-ce pour les railler — les élans et les rêves de ses personnages.
2. LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE : LE RÉALISME. FLAUBERT a passé sa jeunesse dans un milieu médical où l’observation rigoureuse des phénomènes était de règle et où s’affirmait déjà la croyance au déterminisme physiologique. De là l’idée d’étendre à la psychologie laméthode des sciences biologiques, c’est-à-dire de multiplier les observations objectives afin de peindre les choses dans leur réalité et peut-être de s’élever jusqu’aux lois des phénomènes psychologiques. La documentation est donc devenue la condition parfois écrasante, de son labeur d’écrivain. Puisque ses romans s’inspirent, pour la plupart, d’événements réels — contemporains ou historiques —, ilse livre à de vastes enquêtes : il recherche ce qu’étaient ses personnages, leur hérédité, leur conduite, les lieux où ils ont vécu, et il reste généralement aussi près de la réalité que son art de romancier le lui permet. Ce souci de l’exactitude documentaire était devenu pour FLAUBERT une hantise. Avant de décrire l’empoisonnement de Mme Bovary ou les effets de la faim sur les Mercenaires, ilconsulte plusieurs traités médicaux. Dans l’Éducation Sentimentale, au prix de recherches écrasantes, il reconstitue l’atmosphère parisienne entre 1840 et 1851, et en particulier les journées révolutionnaires, avec une précision qui a provoqué l’admiration de l’historien Georges Sorel. Le cas extrême est représenté par Bouvard et Pécuchet, roman inachevé pour lequel FLAUBERT a dépouillé plus de1.500 volumes! Par la documentation, il se proposait d’acquérir « ce coup d’œil médical de la vie, cette vue du vrai qui est le seul moyen d’arriver à de grands effets d’émotion ». Encore le romancier doit-il opérer un choix dans ses documents pour « rester dans les généralités probables » c’est-à-dire dépouiller les faits de leur caractère accidentel et leur donner une valeur de vérité universelle3. L’ART OBJECTIF. Le romancier ne peut être vrai que s’il observe l’âme humaine « avec l’impartialité qu’on met dans les sciences physiques», c’est-à-dire sans faire intervenir ses sentiments personnels. « L’artiste, dit Flaubert, doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu ». Aussi s’efforce-t-il de paraître absent de son œuvre:
il souligne ce qui, dansl’hérédité, le milieu, les circonstances, conditionne et explique les actes de ses personnages; et, s’il peint la vie psychologique, il retient surtout ce qu’elle a de concret, d’objectivement perceptible dans ses manifestations. Sans doute l’impersonnalité absolue est impraticable, mais il faut « par un effort de l’esprit, se transporter dans les personnages, et non pas les attirer à soi. » FLAUBERT yparvenait, au point de passer des journées entières dans l’illusion : « Aujourd’hui, dit-il en écrivant Madame Bovary, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval, dans une forêt, par une après-midi d’automne, sous des feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’on se disait… » Puissance de l’autosuggestion : il…