Présentation générale de l’Apologie de Socrate
On peut dire sans exagération que l’Apologie de Socrate constitue l’oeuvre inaugurale de la philosophie occidentale. A lire ce texte, les philosophes ou les apprentis philosophes remontent à la source originelle de leur discipline, le compte-rendu du procès intenté par Mélétos et deux autres citoyens d’Athènes, contre Socrate en 399 avant J.-C.Cette affaire judiciaire constitue pour nous l’un des deux événements fondateurs de la civilisation occidentale (l’autre étant la crucifixion de Jésus – une lecture des Evangiles sera bientôt proposée sur le blog) : aussi, devant ce texte, nous, les philosophes, ressentons à bien des égards une émotion de respect et de sacré similaire à celle qu’un touriste peut ressentir devant l’entrée du templed’Abou Simbel (ci-contre). Pourtant, ce procès pouvait paraître, de prime abord, anecdotique : un vieil excentrique, peut-être un peu pervers, est condamné à mort – et après ? quel intérêt ? Admettons même qu’il s’agisse d’une erreur judiciaire : et après ? quel intérêt ?
I/ Première lecture cursive
A l’exception de quelques mots énoncés par Mélétos lors du contre-interrogatoire (24d-27d)et du brouhaha dans le prétoire mentionné épisodiquement (par exemple 30c), Socrate parle seul. Ce très long monologue constitue, le lecteur en est averti dès la première phrase, une défense judiciaire dans un procès. Que dit l’accusé pour se défendre ?
1) Divisions du texte
Deux phrases permettent de découper le texte en trois parties d’inégale longueur. Pendant tout le début du texte,Socrate nie être coupable des accusations portées contre lui. En 35e, cependant, il fait tout à coup mention d’un « jugement » que les Athéniens viennent de rendre ; à partir de ce moment, il tient sa condamnation pour acquise et plaide, cette fois, non plus pour prouver son innocence, mais pour une peine alternative à la sentence de mort réclamée par les accusateurs. En 38c, enfin, nouveau changementde thème : « Pour n’avoir pas eu la patience d’attendre un peu […] vous avez fait mourir Socrate. » L’accusé porte un ultime regard sur le procès qui vient de s’achever et en tire les leçons.
On comprend que, dans un premier affrontement, l’accusation et la défense visent à déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu (comme aujourd’hui en France, l’accusation parle d’abord, puis ladéfense) ; les juges se prononcent une première fois à ce stade ; l’accusé reconnu coupable, un second affrontement cherche à déterminer la peine applicable : à la sentence réclamée par l’accusation, le prévenu répond par une sentence alternative. Une nouvelle fois, les juges se prononcent. A tous points de vue juridiques, la procédure pénale proprement dite s’interrompt à la fin de la page 38b, aprèsce second vote des juges : les derniers mots de Socrate se présentent comme une péroraison extrajudiciaire.
Cette procédure athénienne diffère sensiblement de la procédure pénale applicable aujourd’hui en France ; aussi mérite-t-elle quelques précisions.
2) Le procès athénien (agôn) : quelques données juridiques
« Il n’aurait fallu que trois voix de plus pour que je fusse absous » déclareSocrate au moment où il apprend que les juges l’ont reconnu coupable (36a). Cette traduction paraît extrêmement contestable d’autant qu’elle porte sur un moment capital du procès : les traductions plus récentes (notamment celle de Luc Brisson, chez Garnier-Flammarion) évoquent plutôt trente voix que trois.
Trente voix, et Socrate parle d’une « faible majorité » : combien de juges siègent donc danscette affaire ? Les recherches historiques permettent de retenir le chiffre de cinq cents magistrats (Socrate aurait donc été condamné par deux cent quatre-vingt voix contre deux cent vingt). Qui sont ces juges ? De simples citoyens volontaires, âgés d’au moins trente ans. Leur rémunération s’établit, nous apprend Aristophane dans les Cavaliers, à trois oboles par journée d’audience, soit le…