« Ma vie d’employée d’hotel » par rue 89

En 2007, la journaliste Elsa Fayner part en immersion exercer différents métiers payés au smic pour un livre, « Et pourtant, je me suis levée de bonne heure ».

Télévendeuse, serveuse chez Ikéa, elle est également employée d’étage dans un hôtel quatre étoiles, à Lille. Plus que les femmes de chambre, ce sont les employées d’étage qui croisent les clients dans ce type d’hôtels. Pour quellesrelations ?

Quand un client part après l’heure officielle du check-out, c’est à l’employée d’étage de nettoyer les lieux, puisque les femmes de chambre ont terminé leur service. Dans la suite, avec baie vitrée et vue sur la ville, le client retardataire débourse 150 euros par heure supplémentaire.

Aujourd’hui, c’est un rappeur américain qui souhaite se reposer tout l’après-midi. Lesmusiciens, eux, ont dû quitter leur chambre à midi pile et patientent sagement dans les canapés en cuir du hall.

« J’ai deux catégories, les “propres” et les “sales” »
Enfin, le chanteur se décide à lever le camp. Nous avons une heure pour refaire la chambre. Ce soir, la suite est louée à un couple qui fête quarante années de mariage.

Plus un cheveu ne doit traîner. La responsable de l’entretien etl’assistante de la gouvernante générale arrivent en renfort. C’est la course.

La moquette est jonchée de cartons de hamburgers. La salle de bain a été abondamment utilisée. La couverture en laine présente une tâche blanche suspecte. Mais rien à voir avec certains qui saccagent la chambre, commente la gouvernante :

« Moi, je les connais, j’ai mes habitués. J’ai deux catégories : les“propres” et les “sales”. »

Entre ses mains, rien n’est laissé au hasard. Les coins du lit king size au carré, les dix serviettes de toutes tailles à leur place, le miroir surplombant les lavabos sans une goutte d’eau, la douche et la baignoire comme neuves, les toilettes reluisantes, pas un pli sur les tapis, et toutes les poubelles vidées.

En vingt minutes, la chambre se métamorphose. Un obstaclede taille demeure pourtant. Pour se reposer plus profondément, le chanteur a de toute évidence fumé un grand nombre de joints. L’odeur s’est incrustée.

Pas une fenêtre de cet hôtel de dix étages, véritable bunker, ne s’ouvre. Et les sexagénaires arrivent maintenant dans vingt-cinq minutes. Il ne reste qu’une solution : le désodorisant à haute dose. Nous en porterons l’odeur toute la journée.Les consignes des VIP
Demain, il faudra refaire la suite en fin de journée pour une tête couronnée venue du Nord. Son majordome a envoyé un e-mail pour demander :

« Du vin blanc et des fruits, bios si possible, une chambre avec des fenêtres qui s’ouvrent, et un salon de coiffure dans l’hôtel. »

La semaine prochaine, c’est une star de la chanson française qui dort dans le même lit. Nousavons pour consigne d’enlever les sucreries du mini-bar, pour lui éviter les tentations. Pour les autres VIP, c’est plutôt l’alcool. Mais celui-ci est particulier.

D’ailleurs, la responsable de l’entretien se souvient bien de son dernier passage :

« Il m’avait demandé de venir réparer une tringle à rideau. En quittant la chambre, je suis passée devant lui, et il m’a très spontanément misune main aux fesses. Comme pour me remercier… »

Elle en rit, comme les collègues qui l’écoutent raconter.

Un homme d’affaires n’arrive pas à faire fonctionner la douche

Après le dîner, restent trois heures à travailler. Les visiteurs rentrent pendant que nous nous activons dans les couloirs de service. L’hôtel s’assoupit.

J’ai un talkie-walkie à la ceinture. Quand un client appelle laréception, celle-ci transmet. Un homme d’affaires anglais ne parvient pas à faire fonctionner la douche. Je ne l’ai jamais moi-même utilisée, mais je me rends en chambre 301.

« Service d’étage ! » Le client me reçoit en peignoir. Nous nous dirigeons vers la salle de bain. Je trouve rapidement le poussoir qui déclenche la douche, c’est un modèle classique. Le client me remercie, un peu gêné…