Commentaire n°26
Questions: Quel est l’intérêt de cette réécriture? Quelle liberté apporte la prose par rapport au vers? En quoi le passage du vers à la prose est-il significatif de l’évolution poétique de Baudelaire? De ces deux textes, lequel vous semble le plus “poétique”? Prose et vers sont-ils nécessairement à opposer? La prose vous semble-t-elle plus facile à manier que le vers? Peut-ondire qu’un poème en prose reste un poème?
Eléments d’introduction:
– Sur Baudelaire, voir le commentaire d’Une Charogne
– On rappellera que le poème en prose est un genre nouveau au XIXe et qu’il a notamment été réellement formé par Aloysius Bertrand, dans son recueil Gaspard de la Nuit (1842).
– Les petits poèmes en prose (connus également sous le nom de Spleen de Paris) témoignent del’évolution poétique de Baudelaire vers une plus grande liberté et surtout de sous souci de rapprocher entre eux les genres littéraires: ces textes, où la veine poétique est maintenue, peuvent se rapprocher de récits, ou même d’essais critiques.
La chevelure; Un hémisphère dans une chevelure
1. Premiers repérages
A. Passage du vers à la prose.
* Entre les deux versions, cinq ans se sontécoulés: 1857 pour La chevelure, extrait des Fleurs du Mal, 1862 pour Un hémisphère dans une chevelure, extrait de Petits poèmes en prose. Le passage du vers à la prose témoigne donc d’une évolution poétique.
* Il est donc essentiel de comprendre le passage à la prose comme un « perfectionnement », un progrès dans la conception poétique du poète: Baudelaire nous suggère donc que la poésie doit évoluervers un renoncement au vers.
B. Ce que nous disent les titres
* Tout d’abord, la référence à la chevelure apparente nos deux textes à l’art du « blason » poétique (comme pour les armoiries des grandes familles, le blason poétique est un « détail », une « partie » du corps qui symbolise la femme toute entière). Pourtant, entre ces deux titres, on note un écart, une différence dans laconception de ces blasons
* Le titre même La chevelure traduit sans doute la volonté de peindre un absolu; la dimension allégorique du poème est évidente: l’article défini fait de la chevelure une sorte de forme universelle, où, tout au moins, semble en faire la chevelure par excellence. Sans doute n’est-ce donc pas étonnant si c’est à la chevelure elle-même que le poète s’adresse: elle est ainsipersonnifiée
* Au contraire, le titre du poème en prose rend cette chevelure plus singulière, plus imprécise, sans doute: l’article est indéfini, il s’agit d’une chevelure mal identifiée, une chevelure, peut-être, parmi d’autres. Et dans ce poème en prose, le poète ne s’adresse plus à la chevelure elle-même, mais à la femme qui la porte (« l’odeur de tes cheveux »). Donc, ici, l’art du blason estplus limité, la chevelure est un attribut de la femme, et non ce qui la représente. L’évocation est donc plus « réaliste », plus proche d’une forme de réalité.
* On a donc le sentiment que derrière le passage du vers à la prose, passage de la mélodie « régulière », à une parole plus « humaine », peut se lire le passage d’un rêve prolongé à une forme de réalité.
1. Ce que nous dit laconstruction de ces deux poèmes.
* La différence entre le « rêve prolongé » du premier texte à une « forme de réalité »dans le second peut être perçue dans l’évolution de chacun de ces deux textes. Si nos deux textes s’ouvrent sur un parfum (« O parfum »/ « Laisse-moi respirer »), seul le premier maintient cette image jusqu’au bout (« Je hume à long traits le vin du souvenir »). Au contraire, letexte en prose s’achève sur une image beaucoup plus concrète: « mordre », « je mange des souvenirs ». Plus concrète mais aussi moins raffinée (« je hume »- registre soutenu; « je mange » registre courant). Cette progression comparée des deux poèmes reflète donc le souci de Baudelaire de trouver des images plus concrètes, plus réalistes.
* On remarquera également que la structure générale du…