Renard et corbeaux

1) Maître Corbeau. Rabelais avoit transporté ces expressions «la barreau dans son style familier; La Fontaine n’a fait que l’étendre à ses nouveaux personnages. L’application qu’il en fait en relève l’importance ; elle semble agrandir le théâtre, et appelle la. curio sité sur les acteurs. Voilà les deux maîtres, voleurs en présence ; on s’attend à voir des tours de maîtres Gonins, maîtresCourbes.
(2) Sur un arbre perché. J. J. Rousseau veut exclure l’apologne de l’éducation des enfans. C’est par cette fable qu’il prétend justifier sa sévérité contre tout le genre ; pas une, selon lui, qui ne soit au-dessus de la portée du jeune âge. Qu’est-ce, dit-il, qu’un arbre. perché ! La Fontaine ne parle pas ainsi. Il dit : sur un arbre perché. «Oui; mais pour faire entendre l’inversion, il fautexposer ce que c’est que prose et qne vers. » Sans doute il a fallu commen cer par-là ; mais votre Emile sait lire peut-être. En est-il encore à ses premiers élémens ? ou vaudroit-il moins que le sauvage et l’homme de l’enfance du monde, pour qui la poésie ne fut point un langage inconnu ?
(3) Par l’odeur alléché. Attiré, comme bien des animaux le sont par l’odeur ou par la vue du lait. L’images’en retrouve dans l’étymologie latine du mot allécher, allicere , que l’on auroit dû conserver dans la prose comme dans les vers. Pourquoi supposer , avec J. J. , que le Renard vienne de loin ? La scène se passe dans un bois ; le Renard ne peut-il avoir son terrier près de l’arbre où le Corbeau se trouve perché ?
(4) Lui tint à-peu-près ceLangage. Ne croiroit-on pas que La Fontaine a été témoin del’aventure, qu’il a entendu la conversation, et qne son exactitude portée jusqu’au scrupule , ne craint que de ne pas rapporter avec assez de fidélité les paroles du Renard?
(5) Eh ! bonjour. Le ton familier suppose une connoissance déjà faite, par conséquent dispense des préliminaires. Monsieur du Corbeau., Votre Emile sait bien que la fable est le tableau de la société ; donc, qu’elle en doitretracer le langage. Du Corbeau si
titre d’honneur, bien mieux dans le style de la fable, que la simple appellation de monsieur le Corbeau. Tout flatteur a l’abord si respectueux.
(6) Que vous êtes joli! que vous me semblez beau ! J.J. Rousseau citoit probablement de mémoire; il a écrit: que vous êtes charmant, que vous me semblez beau ! Et il s’écrie: cheville, re dondance inutile! La Fontaineentendoit mienx l’art des gradation ; il a dit : que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Ces ex pressions ne sont point synonymes. Ce qui est joli plaît au premier apperçu ; ce qui est beau attache ; le joli commence la séduction, le beau l’achève et la fixe. Le Corbeau réunit et ce que l’on aime et ce que l’on admire. Cette exagération n’est pas perdue pour l’élève; il fait d’avance desvœux contre le stupide animal qui se laisse ainsi cajoler.
(7) Sans mentir. »il ment toutefois en protestant de sa sincérité. » Eh! n’est-ce pas-là le ton des sociétés ? Fait pour vivre avec les hommes, que votre élève apprenne de bonne heure à s’en défier et à ne pas croire légèrement à leurs paroles.
(8) … Si votre ramage
Se rapporte à votre plumage. Ce qu’il y a de plus perfide dans laflatterie, c’est l’art avec lequel elle sait intéresser l’amour-propre, non seulement dans les éloges qu’elle lui prodigue, mais dans les soupçons qu’elle laisse tomber sur les perfections; comment alors résister à cette espèce de défi? Il faut bien venger sa réputation, et montrer que la beauté de la voix se rapporte a celle du plumage.
(9) Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. Emile demande ceque c’est que le Phénix. Je lui réponds que les poètes nous parlent d’un oiseau d’une admirable beauté, unique dans son espèce. Je pourrai même lui citer la magnifique description que Claudien en a faite ; une autre fois je lui dirai ce qu’il doit penser de ces fictions. Emile va conclure avec le Corbeau de la fable , qu’il est un oiseau admirable et sans pareil. C’est notre ancienne comédie qui…