POEME « FAMILIALE » de Jacques Prévert
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Présentation
Jacques Prévert est né le 4 février 1900 et est mort le 11 avril 1977. Il a eu beaucoup de mal à se faire reconnaître des critiques de son vivant car on lui reprochait sa poésie trop simple. À présent, il est considéré comme un des plus grands poètes du XXième siècle et il est publié dans la collection de la Pléiade, symbole deconsécration pour un écrivain. Le poème « Familiale » que je vous présente fait partie d’un ensemble de neufs poèmes de Prévert rassemblés sous le nom d’Étranges étrangers, publié en 2000 aux éditions Gallimard, dans la collection Folio junior. Il est extrait de l’un des recueils les plus connus de Prévert, Paroles, publié chez Gallimard en 1949. C’est un poème écrit en vers libres, à la foisd’apparence enfantine et de tonalité tragique : une manière très directe et très émouvante de dénoncer l’horreur de la guerre.
Lecture à haute voix
La mère fait du tricot Le fils fait la guerre Elle trouve ça tout naturel la mère Et le père qu’est-ce qu’il fait le père? Il fait des affaires Sa femme fait du tricot Son fils la guerre Lui des affaires Il trouve ça tout naturel le père Et le fils et lefils Qu’est-ce qu’il trouve le fils? Il ne trouve rien absolument rien le fils Le fils sa mère fait du tricot son père des affaires lui la guerre Quand il aura fini la guerre Il fera des affaires avec son père La guerre continue la mère continue elle tricote Le père continue il fait des affaires Le fils est tué il ne continue plus Le père et la mère vont au cimetière Ils trouvent ça naturel le pèreet la mère La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires Les affaires la guerre le tricot la guerre Les affaires les affaires et les affaires La vie avec le cimetière.
Niveau
Ce poème pourra être présenté à des CM2, car toutes ses subtilités ne pourraient pas forcément être perçues avant.
Justification du choix
Tout d’abord, l’intérêt de ce texte est qu’il est un poème,qui plus est riche, et donc ne se livre pas de suite. Plusieurs caractéristiques peuvent alors piquer la curiosité du jeune lecteur : 1. La monotonie d’une scène familiale relatée par la structure répétitive du texte, le temps des verbes et la présence de sonorités qui reviennent d’un bout à l’autre du texte. • Sujet / verbe / COD : personnages ou pronoms/ faire, trouver, continuer/ tricot,affaires, guerre. La scène se répète indéfiniment dans le temps, sans repères de dates, sans espoir de fin. Ceci est mis en relief par l’absence presque totale de ponctuation et la disparition des verbes dans les derniers vers, comme si le verbe « continuer » ne devait même plus être exprimé. • De plus, emploi du présent presque constant, et comme se sont toujours les mêmes verbes, ceci souligne leprésent d’habitude, de durée, de généralité. • Enfin la monotonie du texte est accentuée par la reprise fréquente de sonorités semblables : « mère », « père », « faire », « guerre », « cimetière ». La pauvreté voulue du vocabulaire, ajoutée aux familiarités d’expression (« ça ») et au manque d’originalité des actions, attire l’attention du lecteur sur un processus de banalisation de la guerre. 2. Laguerre est intégrée par la syntaxe et les sonorités et puis elle est banalisée à travers le jugement qui est porté sur elle par les parents. En effet, dans les phrases la guerre est mise sur le même plan que d’autres occupations, on fait la guerre comme on fait du tricot ou des affaires, actions indissociables de cette vie familiale. Mieux, elle est personnifiée et devient le sujet du verbe «continuer » au même titre que « mère » et « père ». Ensuite, comme nous l’avons déjà vu, au niveau des sonorités, elle s’intègre au jeu d’assonances qui la rapproche des mots « faire », « père », « mère » et « cimetière ». La guerre ne choque ici personne, l’adjectif la désignant étant à trois reprises « naturel ». Il apparaît alors tout aussi naturel que la mort du fils lui succède, sans aucun…