Moliere

DOM JUAN : ACTE I, Scène 2 : Le livre, la logique, la langue.

SGANARELLE. Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous ayez appris tout cela par coeur, et vous parlez tout comme un livre.

Dom Juan vient de faire une longue tirade dans laquelle il semble avoir éprouvé le besoin de justifier son attitude en matière amoureuse. Sganarelle sans doute ne s’attendait pas à cela etsa remarque indique et sa surprise face à une telle dépense de paroles et son besoin de désamorcer le sérieux du discours de Dom Juan soudain comparé à un bon élève qui récite sa leçon.
D’où la sécheresse de ton du Maître :

DOM JUAN. Qu’as-tu à dire là-dessus ?

SGANARELLE. Ma foi, j’ai à dire…, je ne sais ; car vous tournez les choses d’une manière, qu’il semble que vous avez raison; et cependant il est vrai que vous ne l’avez pas. J’avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m’ont brouillé tout cela. Laissez faire : une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit pour disputer avec vous.

Peut-être le serviteur sent-il le danger au ton et au visage de son maître mais en tout cas il avoue son impuissance à « disputer », à débattre avec le « grand seigneur »cependant qu’il se rend bien compte que c’est surtout par l’habileté à manier la langue, à jongler avec les idées que Dom Juan réussit à convaincre, à séduire. Dom Juan est d’abord un maître du langage puisque la séduction consiste à convaincre l’autre du grand intérêt qu’on lui porte en lui parlant et en le faisant parler.
Sganarelle semble ici comprendre que ce qui semble logique (cf il sembleque vous avez raison) peut être seulement une belle apparence de logique (cf et cependant il est vrai que vous ne l’avez pas), qu’il peut même y avoir une distorsion entre la prescience de ce qui est vrai et la jolie science de savoir bien parler, d’être fin rhétoriqueur : cf J’avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m’ont brouillé tout cela.
Du reste, le beau langage fut souventjadis une marque distinctive de la noblesse et le français des paysans, le français des bourgeois et le français des nobles étaient quasiment ressentis comme étant irrémédiablement différents, étanches l’un pour pour l’autre, langues de races plus encore que de classes. (1)
D’où le constat de Sganarelle : on ne peut « disputer » avec les seigneurs que par écrit, – une autre fois je mettrai mesraisonnements par écrit -, et de fait, c’est bien par les écrits de Voltaire, de Rousseau, de Beaumarchais, par le projet des « Encyclopédistes » qu’au XVIIIème siècle la monarchie va se sentir menacée. D’où l’ironie invisible peut-être (quoique l’on fit beaucoup pour censurer Molière) aux oreilles des contemporains de la pièce mais réelle pour nous de cette réponse de Dom Juan :

DOM JUAN. Tuferas bien.

Note : (1) En ce début de XXIème siècle, beaucoup, souvent par ignorance mais pas toujours, considèrent encore le patois picard et ses quelques survivances de langage comme dévalorisantes, dépréciatives de la position du locuteur et assimilent volontiers le patois à un argot, une langue douteuse. A l’autre bout, les conservateurs absolutistes de la langue, sans le vouloir la plupartdu temps mais en connaissance de cause parfois, utilisent les faits de langue comme instrument de propagation d’idées plus ou moins nationalistes (c’est le cas avec la langue corse, le basque, le breton, le flamand, l’alsacien). Dans les deux cas, la linguistique, en tant que science humaine, passe au second plan.

« LA SCENE DU PAUVRE »
NOTES SUR DOM JUAN DE MOLIERE (Acte III, Scène 2)

Courtemais très intense, et surtout très célèbre scène. Dom Juan, Sganarelle, un pauvre en sont les protagonistes.

Dom Juan et son valet Sganarelle se sont égarés dans une forêt ; cf Acte III, fin de la scène 1 :

DOM JUAN : Mais tout en raisonnant, je crois que nous nous sommes égarés. Appelle un peu cet homme que voilà là-bas, pour lui demander le chemin.

Dom Juan n’aime guère perdre de…