Finances publique

Dette publique, rente privée Michel Husson
avril 2006 Depuis plusieurs années, les libéraux tirent la sonnette d’alarme à propos du montant de la dette publique. Ce débat a été relancé par le rapport Pébereau 1, dont la publication a été accompagnée de déclarations tonitruantes du Ministre de l’économie, Thierry Breton. Cette note cherche à montrer que cette dramatisation repose sur undiagnostic erroné qui a pour fonction de légitimer la réduction des dépenses de l’Etat et les effectifs de fonctionnaires. La faute aux dépenses ? Le principal dispositif idéologique consiste à présenter la dette publique comme le résultat de dépenses excessives et à comparer la gestion du budget de l’Etat à celle d’un ménage. Les libéraux n’hésitent pas à recourir à des images frappantes. En 2002,Raffarin déclarait dans son style inimitable : « Moi, j’ai des idées simples (…) c’est de la bonne gestion de père de famille, c’est cela qu’il faut faire. Moi je suis tout à fait favorable à ce que nous puissions, très rapidement, réduire les déficits »2. Cette référence aux « règles de bon père de famille » a été reprise par Sarkozy lors de la discussion du budget 2005. Ce discours de bon sens vise àfaire comme si les causes de l’augmentation de la dette publique allaient de soi, et que celle-ci résultait évidemment d’une croissance excessive des dépenses publiques. Ne reste plus alors qu’à greffer un discours simpliste qui s’appuie sur le sens commun : on ne peut durablement dépenser plus qu’on ne gagne, et par conséquent il faut dépenser moins et ajuster les dépenses aux recettes. Sinon, onaccumule une dette qui viendra peser sur les générations futures. Cet argumentaire semble si bien ficelé qu’il ne reste plus au fond qu’à décider dans quel budget il faut couper ! Pourtant, ce raisonnement apparemment irréfutable est un tissu d’absurdités et de contresens. Pour commencer, l’Etat dispose de la possibilité – à vrai dire assez peu répandue chez les particuliers – de fixer lui-mêmeses recettes ; et ses dépenses peuvent elles mêmes engendrer des recettes. La dette de l’Etat n’est en aucun cas assimilable à celle d’un ménage : l’horizon de l’Etat est bien plus long, et on peut dans l’abstrait définir les conditions d’un recours stable à l’emprunt, comme alternative à l’impôt3. Quant aux intérêts de la dette, ils ne seront pas payés demain par nos enfants, mais le sont par lescontribuables contemporains4. Enfin, la montée de la dette de l’Etat est principalement liée à une baisse de ses recettes, et cette configuration permet de comprendre pourquoi un tel déficit public n’a pas les vertus keynésiennes attendues. Genèse d’une dette Chaque année, la dette de l’Etat s’accroît en fonction du déficit qui est couvert par l’émission de nouvelles obligations du Trésor. Cetaccroissement peut être décomposé en plusieurs éléments : d’une part, la différence entre les recettes et les dépenses hors intérêts qui constitue le déficit primaire et, d’autre part, les intérêts versés par l’Etat. Le poids de la dette dans le PIB peut alors augmenter de trois façons : baisse des recettes, augmentation des dépenses et effet « boule de neige » des versements d’intérêt sur la detteacquise.

Rompre avec la facilité de la dette publique, rapport Pébereau, La Documentation française, 2005 http://hussonet.free.fr/pebereau.pdf France 2, 23 mai 2002. 3 Jerôme Creel et Henri Sterdyniak, « Faut-il réduire la dette publique ? », Lettre de l’OFCE n°271, janvier 2006 http://hussonet.free.fr/ofce271.pdf 4 Bernard Guerrien et Francisco Vergara, « La dette publique, fardeau desgénérations futures ? », Alternatives économiques, n° 153, novembre 1997 http://hussonet.free.fr/vergag.pdf
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L’effet « boule de neige » peut se résumer de la manière suivante : quand le taux d’intérêt réel (une fois décomptée l’inflation) est supérieur au taux de croissance de l’économie, le poids de la dette dans le PIB augmente mécaniquement, et cela même si le déficit primaire est nul. Ce…