Nouvelles orientales de marguerite yourcenar

Marguerite Yourcenar, Comment Wang-Fô fut sauvé
Incipit

Introduction

Cette nouvelle, écrite par Marguerite Yourcenar, appartient au recueil des Nouvelles Orientales (1938). « Comment Wang-Fô fut sauvé » est un texte bref, qui n’est pas sans évoquer le genre du conte à bien des égards. L’histoire est celle du peintre Wang-Fô, un vieux sage qui parcourt la Chine avec son disciple Ling ; ondit de lui qu’il peut rendre ses peintures vivantes. Un jour, tous deux sont arrêtés par l’Empereur, qui lui promet un châtiment terrible pour avoir peint « « un univers plus beau que le monde réel » » et lui ordonne d’achever l’une de ses toiles. Comment sera-t-il sauvé ? Nous vous laissons lire la nouvelle pour le savoir… Quoi qu’il en soit, l’extrait étudié est l’incipit de la nouvelle, à savoirson ouverture.
Nous verrons comment se déploient les fonctions de l’incipit, mais aussi comment Marguerite Yourcenar en a fait un véritable apologue de l’artiste et du penseur.

Extrait

« Le vieux peintre Wang-Fô et son disciple Ling erraient le long des routes du royaume de Han. Ils avançaient lentement, car Wang-Fô s’arrêtait la nuit pour contempler les astres, le jour pour regarder leslibellules. Ils étaient peu chargés, car Wang-Fô aimait l’image des choses, et non les choses elles-mêmes, et nul objet au monde ne lui semblait digne d’être acquis, sauf des pinceaux, des pots de laque et d’encres de Chine, des rouleaux de soie et de papier de riz. Ils étaient pauvres, car Wang-Fô troquait ses peintures contre une ration de bouillie de millet et dédaignait les pièces d’argent. Sondisciple Ling, pliant sous le poids d’un sac plein d’esquisses, courbait respectueusement le dos comme s’il portait la voûte céleste, car ce sac, aux yeux de Ling, était rempli de montagnes sous la neige, de fleuves au printemps, et du visage de la lune d’été. »

Marguerite Yourcenar, in Nouvelles Orientales (1938)

Commentaire

I- Caractéristiques de l’incipit

Du latin incipere, quisignifie « commencer », l’incipit désigne le début d’un texte littéraire. L’incipit du conte de Marguerite Yourcenar répond à plusieurs caractéristiques de ce type d’ouverture.

A) L’introduction des personnages

En quelques lignes seulement, Marguerite Yourcenar parvient à nous présenter les personnages principaux de son ouvrage d’une manière très révélatrice.
En effet, en annonçant quelquesunes de leurs caractéristiques, l’auteur réussit à dessiner les grands traits de leur personnalité et de leur identité :

– Wang-Fô est un vieil homme, apparemment très sage. Il est peintre, mais ce n’est pas qu’un métier pour lui, puisque son activité influe sur son mode de vie, sa façon de voir le monde. Nous verrons dans une autre partie la manière dont il suit une éthique particulière.
– Lingest le disciple de Wang-Fô. On peut donc supposer qu’il est plus jeune que son maître. Il partage sa vie et son errance à travers la Chine, porte de lourdes charges et respecte beaucoup son maître. Son admiration a peu de limites, puisqu’il a l’impression de transporter des « montagnes sous la neige », des « fleuves au printemps », etc.

B) La mise en contexte de l’œuvre

L’incipit permetaussi de nous situer dans un contexte. Dans le cas qui nous intéresse, on comprend les éléments suivants :
– l’histoire se déroule en Chine (« Han », « encres de Chine »)
– sur la question de l’époque, on peut déduire que l’histoire se déroule quelque part entre 206 av. JC et 220 après JC, puisque l’auteur parle de « royaume de Han » (une dynastie chinoise majeure).

Culturellement parlant, leséléments faisant référence à la tradition chinoise sont récurrents dans ce passage : la soie, la peinture traditionnelle, les paysages de montagnes sous la neige, le cliché du vieux sage qui parcourt les routes accompagné de son disciple…

L’incipit permet de nous plonger quasi instantanément dans une époque, une ambiance particulière.

C) Le « contrat de genre »

Une autre fonction des…