Les droits de l’homme d’un point de vue philosophique

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d’un point de vue philosophique__

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Les Droits de l’homme d’un point de vue philosophique

UNIVERSALITÉ ET CONTEXTE CONCRET
La question de l’universalité
Si l’absolu entre nécessairement en jeu quand il S’agit d’incarner l’exigence des Droits de l’homme, malgré les risques qu’il leur fait toujours courir, la question deleur universalité se pose avec d’autant plus d’acuité. Ce n’est pas un citoyen abstrait du monde en général dont il s’agit de respecter absolument les Droits. C’est toujours une personne concrète, située dans une époque donnée, dans un pays donné. Elle a un héritage historique, social, traditionnel. Elle dépend d’une société qui a atteint tel niveau de développement, d’une tradition qui lui a apprisà reconnaître telle hiérarchie des valeurs, d’une famille liée à telle croyance religieuse ou à aucune, et ainsi de suite. L’homme en elle, dont il s’agit de respecter et de faire respecter les droits, n’est pas « un reste » qui subsiste après qu’on l’aurait dépouillée de toutes ses particularités et de toutes ses adhésions historiquement conditionnées.
Au contraire : c’est l’homme qui en a réaliséen lui-même la synthèse, qui en a forgé l’unité irréductible, et qui vit, même sans le dire, cette synthèse sur le mode : « c’est moi; je suis celui-là; voici ce que je veux : voici ce que je crois; voici à qui et à quoi j’appartiens; voici ce que je défends ». Certes, c’est un Droit de l’homme que de pouvoir adhérer à tel contexte social ou traditionnel ou au contraire s’en libérer jusqu’à lecombattre, jusqu’à s’en affranchir. Pourtant la représentation abstraite et libérale d’un être humain, vide et équitable au départ, pourvu de son seul « jugement », qui filtre lucidement ses adhésions et ses refus, est commode, mais fictive et finalement fausse. Au niveau profond où s’enracine l’exigence absolue du respect des Droits de l’homme, aucun homme n’est un arbitre impartial à force d’être vide.Il est déjà fait du passé des autres et de son passé, de ses choix plus anciens, des données qui déterminent sa vie quotidienne, de ses fidélités et de ses abandons, il est fait de tout cela, et il en fait ce qu’il devient. C’est pourquoi, contrairement à ce que font croire certaines modes, on viole aussi bien les Droits d’un être humain en l’empêchant d’adhérer au contexte et aux données de savie qu’en lui refusant le droit de s’en affranchir.
Ce que j’essaye de dire ici, c’est que l’exigence des Droits de l’homme ne s’enracine pas dans les zones, ou les niveaux, que peuvent décrire ou analyser les sciences humaines. Leur respect ou leur violation, bien que toujours liés à un contexte concret qui peut, lui, faire l’objet d’une étude psychologique ou sociologique, ne sont pas du ressortde ces recherches, précisément parce que leur racine est absolue. Sinon, ce n’est pas d’eux qu’il s’agit. Il s’agit ici de la possibilité d’une décision absolue, et cette possibilité existe en tout homme. Ce « point », le plus enraciné, le plus concret, est seul à permettre l’exigence générale des Droits de l’homme, parce qu’il peut arriver à tout homme de décider : je ne ferai pas cela – plutôtmourir. Telle est la source de leur universalité.
Ce possible absolu, seul généralisable, ne permet guère la preuve, ni la réfutation, et encore moins la suspension neutre du jugement. Il ne se prête guère à une défense du « droit au bonheur » ou du « droit à la santé », – ou du moins, seulement indirectement, par ricochet. Il ne peut servir ni à nier la réalité des races, ni celle d’inégalitésempiriques, naturelles.
Plus grave encore : il ne peut guère servir de fondement à une éventuelle unanimité doctrinale universelle, – et il pourrait même y faire irréductiblement obstacle, – à moins qu’on ne le cherche à une très grande profondeur, là où il se scinde en deux expériences mystérieuses : à travers la possibilité de la décision absolue, celle d’une transcendance non possédée, comme aussi…