Montaigne

Réunis trois jours durant autour du socratisme de Montaigne, des spécialistes venus de France, d’Italie, de Belgique ou du continent américain se sont confrontés à ce thème précis. Malgré l’absence imprévue des spécialistes de l’Antiquité, les journées ont été bien remplies et les échanges fructueux. Les interventions se sont assez peu portées sur les sources, mais vraiment sur le fonctionnementde la référence à Socrate dans les Essais, à l’exception de la conférence d’ouverture de M. Pierre Magnard, qui a permis de resituer le propos de Montaigne au sein d’une longue tradition socratique. Celui-ci a ouvert le colloque en distinguant entre deux traitements du socratisme : celui de la première renaissance, Ficin, Salutati, Manetti, qui voit en Socrate un héros et celui de la secondeRenaissance, celle de Montaigne, annoncé par Érasme et Rabelais, qui valorise en lui l’homme ordinaire. Avec Montaigne, le renversement est presque achevé puisque c’est lorsqu’il se reconnaît homme que le héros devient un dieu.

L’intervention de Bruno Pinchard, immédiatement après, a réaffirmé une différence fondamentale entre Montaigne et Rabelais : en opposant Montaigne à Rabelais, ce dernierpuisant dans le légendaire et le mythique, tandis que Montaigne recueillerait les traces antiques le la culture occidentale, B. Pinchard donne une interprétation de la métaphysique de ces auteurs ; si Rabelais fonde son discours sur le corps et le grotesque, Montaigne lui, a renoncé à tout désir de fondement ; la forme même de l’essai, la marginalité de l’écriture témoignerait alors du caractère nonmétaphysique de la philosophie de Montaigne, contre Socrate – silène qui porte en son centre ses richesses.

Les autres interventions ont surtout porté sur les modalités de l’imitation de Socrate. On a ainsi pu conclure que cette imitation se faisait sur divers plans : écriture, rapport à la vie, moralité et connaissance.
En rappelant ce que Montaigne doit à la tradition italienne de la »conversation civile », qui elle-même se réfère au modèle socratique, Nicola Panichi souligne l’importance accordée par Montaigne à la notion d’humanitas, dont la marque est la possession du sensus communis. Le dialogue d’inspiration socratique, sous la forme de la conférence (III 8) permet alors à Montaigne de faire émerger une norme sociale et politique.

L’intervention d’Emmanuel Faye propose unelecture unifiante de l’essai III 12 « De la phisionomie », qui entremêle réflexions sur Socrate et observations sur les troubles civils à l’époque de Montaigne. Rappeler que Montaigne a été embastillé en 1588 permet en effet de faire le lien avec Socrate condamné à mort. Ainsi Montaigne peut-il réécrire à la première personne le plaidoyer de Socrate, réaffirmant leurs traits communs que sont naturel etvigueur.

La proximité entre la devise de Montaigne « Mentre si puo » – pendant qu’on peut – et le refrain favori de Socrate : « selon qu’on peut », a retenu l’attention d’Alain Legros.
Sans oublier leurs différences, il souligne l’inspiration socratique dans sa variante xénophontienne, qu’on trouve dans la philosophie de Montaigne : effort moral mesuré, ajusté aux possibilités de chacun, invitationà jouir du temps présent, intérêt pour le quotidien et le courant. De ce point de vue, l’influence du socratisme donne lieu à une philosophie du bonheur tranquille.
En mettant en regard l’éloge de la nescience dans l’ « Apologie de Raimon Sebond » (II 12) et la louange de Socrate et de la raison, dans l’essai III 12, Edward Tilson interroge le statut de chacun de ces textes ; le premier sembleêtre là pour briser la présomption, même si le pyrrhonisme de Montaigne conserve pourtant des traits étrangement socratiques. En revanche le second se présente comme le versant positif de la philosophie de Montaigne, s’intéressant comme Socrate, à Eros et à Thanatos.

D’autres interventions, sensibles à l’ambition de Montaigne de libérer le jugement vis-à-vis de toute admiration ou de tout…