Le thème de la réforme devrait être consensuel : l’évolution et l’adaptation aux circonstances
sont un principe communément admis et de même que les êtres humains grandissent et se
transforment, les organisations en font de même. Ne serait-ce pas une sorte de loi naturelle ? Les
juristes internationaux disent bien d’ailleurs qu’un traité vaut « rebus sic stantibus », prônant ainsi lavariabilité en fonction des contextes.
L’histoire, tout comme la contemplation du monde contemporain, montre qu’il en va souvent
très différemment : les réformes ne recueillent pas toujours des préjugés de principe favorables. Bien
au contraire, on s’est souvent opposé sur le plan politique entre partisans de l’ordre et partisans du
mouvement. Les anti-réformateurs ont même incarné la contre-réforme…sur le plan religieux. La
« réaction » est aussi un terme qui à plusieurs époques a réuni les anti-réformistes. Il serait donc naïf
de considérer que la réforme séduit toujours, alors que paradoxalement elle figure maintenant en tête
de tous les programmes politiques des candidats aux élections dans le monde. Elle n’a pas été absente
du discours d’investiture du candidat démocrate à l’électionaméricaine tout comme J. F. Kennedy
annonçait en 1960 une « nouvelle frontière ».
C’est que la réforme « bouscule » et remet en cause : son impact n’est pas neutre. Mal conduite,
une réforme échouera et les attentes qui la justifiaient ne seront pas satisfaites. Pour paraphraser
Descartes, on peut se demander s’il ne devrait pas exister un « discours de la méthode » appliqué à la
conduitedes réformes…
Si on voulait le bâtir, on travaillerait deux niveaux tout à fait complémentaires :
? légitimer la réforme,
? accompagner sa mise en oeuvre.
On étudiera successivement ces deux points.
1. LÉGITIMER LA RÉFORME
C’est un préalable indispensable : pourquoi et comment ?
1.1. – Contrairement à une idée répandue, personne n’attend la réforme, exception faite d’une
frange souventmarginale de personnes qui, dans tous les secteurs de la vie sociale, partent du principe
que le temps rend toute organisation ou tout système obsolescent. C’est ainsi qu’à propos du passage
du septennat au quinquennat, un des arguments utilisés fut la simple formule « trop long ». Ce type
d’argument présente le risque de caricaturer une réforme pourtant souhaitable pour d’autres raisons.
Laplupart des réformes remettent en cause les situations. Par exemple, dans le domaine social,
elles menacent « les droits acquis ». Les exemples sont nombreux d’initiatives qui ne prennent pas en
compte les réalités du terrain. On le voit à propos de toutes les modifications de régimes horaires liées
au passage aux 35 heures. Des « dépassements », informels jusqu’à présent, sont devenus d’officielles« RTT ». On se souvient d’un cas célèbre largement à l’origine d’une grande grève des personnels
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infirmiers dans les années 1990 : l’automatisation de la gestion des horaires avec des pointeuses et un
logiciel informatique qui avait « omis » toutes les tolérances comme le battement d’un 1/4 d’heure
pour les mères de famille qui déposaient leur enfant à la crèche et qui a eu pour résultat deles mettre
systématiquement « en retard »…
La réforme doit être justifiée : elle ne s’accepte pas spontanément, sauf s’il s’agit de remédier à
une situation moralement et socialement inadmissible. C’est de plus en plus rare dans les sociétés
développées : si personne ne pouvait en France contester la journée de 8 heures en 1919 (sur 6 jours !),
si personne ne pouvait refuser l’interdictiondu travail des femmes et des enfants, si personne non plus
ne pouvait admettre qu’une réforme du Code civil sur les droits des femmes ainsi que la dépénalisation
de la contraception se justifiaient en 1975 (le contexte nataliste n’était plus celui qui avait justifié la loi
de 1920 faite pour combler les pertes des années 1914-1918), les attitudes changent dès lors qu’il
s’agit de réformes…