Bel ami

Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885, 1ère partie chapitre 7. (Besançon)

Bel-Ami

Le héros, Georges Duroy, est journaliste dans un grand quotidien parisien à la fin du XIXe siècle. Provoqué par le rédacteur d’un autre journal, il décide de se battre en duel, au pistolet, pour défendre son honneur. Le duel aura lieu le lendemain, à l’aube…

Dès qu’il fut au lit, il souffla sa lumièreet ferma les yeux.
Il avait très chaud dans ses draps, bien qu’il fît très froid dans sa chambre, mais il ne pouvait parvenir à s’assoupir. Il se tournait et se retournait, demeurait cinq minutes sur le dos, puis se plaçait sur le côté gauche, puis se roulait sur le côté droit.
Il avait encore soif. Il se releva pour boire, puis une inquiétude le saisit : « Est-ce que j’aurais peur ? »
Pourquoison cœur se mettait-il à battre follement à chaque bruit connu de sa chambre ?
Quand son coucou allait sonner, le petit grincement du ressort lui faisait faire un sursaut ; et il lui fallait ouvrir la bouche pour respirer pendant quelques secondes, tant il demeurait oppressé.
Il se mit à raisonner en philosophe sur la possibilité de cette chose : « Aurais-je peur ? »
Non certes il n’aurait paspeur puisqu’il était résolu à aller jusqu’au bout, puisqu’il avait cette volonté bien arrêtée de se battre, de ne pas trembler. Mais il se sentait si profondément ému qu’il se demanda : « Peut-on avoir peur malgré soi ? »
Et ce doute l’envahit, cette inquiétude, cette épouvante ! Si une force plus puissante que sa volonté, dominatrice, irrésistible, le domptait, qu’arriverait-il ? Oui, que pouvait-ilarriver ?
Certes il irait sur le terrain puisqu’il voulait y aller. Mais s’il tremblait ? Mais s’il perdait connaissance ? Et il songea à sa situation, à sa réputation, à son avenir.
Et un singulier besoin le prit tout à coup de se relever pour se regarder dans sa glace. Il ralluma sa bougie. Quand il aperçut son visage reflété dans le verre poli, il se reconnut à peine, et il lui sembla qu’ilne s’était jamais vu. Ses yeux lui parurent énormes ; et il était pâle, certes, il était pâle, très pâle.
Tout d’un coup, cette pensée entra en lui à la façon d’une balle : « Demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort. » Et son cœur se remit à battre furieusement.
Il se retourna vers sa couche et se vit distinctement étendu sur le dos dans ces mêmes draps qu’il venait de quitter. Il avaitce visage creux qu’ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus. Alors il eut peur de son lit, et afin de ne plus le voir il ouvrit la fenêtre pour regarder dehors.

Guy de Maupassant,
Bel-Ami

QUESTIONS (15 points)

I – UN RECIT (3,5 points)

1) a) – Qui raconte et à quelle personne est faite la narration ? Justifiez votre réponse par une citation dutexte. (0,5 pt)
b) – Relevez un passage au style direct. Qui s’exprime ? (0,5 pt)

2) Justifiez l’emploi du présent « ont » de « Il avait ce visage creux » à « ne remueront plus », dans un récit écrit au passé. (0,5 pt)

3) a) Relevez du début du texte jusqu’à « Est-ce que j’aurais peur ? » et de « Et un singulier besoin » jusqu’à la fin les connecteurs temporels qui font progresser le récit. (1 pt) b) Comment s’explique selon vous la présence de nombreux paragraphes ? (0,5 pt)
c) Caractérisez à l’aide d’un adjectif qualificatif le rythme ainsi créé. (0,5 pt)

II – UN SENTIMENT (5,5 points)

4) a) Quel sentiment domine le personnage ? Dites en quoi il est lié aux circonstances. (1 pt)
b) Faites un relevé des termes du lexique qui marquent cette émotion. (1 pt)
c) Montrezpar trois exemples au moins comment cette émotion se traduit physiquement. (1,5 pt)

5) De « Quand il aperçut » à « énormes » :
a) Relevez deux termes de nature grammaticale différente qui traduisent le trouble du personnage. (0,5 pt)
b) Dites quel est le point de vue adopté par le narrateur. (0,5 pt)

6) Diriez-vous de la fin du texte qu’elle est fantastique, tragique, dramatique ?…