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Réviser les origines du communisme français « 1789 / 1989, allers et retours »
Le concept de totalitarisme ne dit pas grand-chose, sinon rien, sur les origines, pas plus qu’il ne cherche à expliquer les bases sociales différentes sur lesquelles s’appuyaient les régimes. Ian Kershaw1.
La question des origines du communisme français intéresse au premier chef l’histoire du socialismefrançais. Ouvert par la thèse pionnière d’Annie Kriegel en 1964 ( Aux origines du communisme français), ce questionnement s’enrichit aujourd’hui de la note 42 de la Fondation Jean Jaurès2. Dans sa collection « Histoire et mémoire » elle publie en ligne le DEA – primé par ses soins en 2003 – de Romain Ducoulombier, Le premier communisme français, un homme nouveau pour régénérer le socialisme (RC).L’auteur place d’emblée son travail sous les auspices de la révision des années d’avant la bolchevisation, fort d’un axiome (affirmé dès les premières lignes de l’introduction) : « En fait, les origines d’un mouvement politique et social engagent toujours les formes de son avenir » (RC, p.8). La tentation téléologique m’importe peu dans ce propos ; ce qui me retient est la valeur indiciaire de ce travaildans l’horizon de la conjoncture historiographique de 2005. Le prendre au mot, c’est accorder à « cette révision que ce travail de DEA se propose d’entamer » (RC, p.8) tout son intérêt, non dans sa démarche historique largement validée par d’autres instances, mais d’un point de vue épistémologique et historiographique3. Deux interrogations délimitent mon propos : • Du point de vue épistémologique,comment circonscrire le mouvement suggéré par le titre : le premier communisme français, un homme nouveau pour régénérer le socialisme français ? Si l’expression « homme nouveau » appelle l’horizon « totalitaire », la démarche de Romain Ducoulombier lie cet horizon à la Révolution française par l’argument de l’homme régénéré étudié par Mona Ozouf. Un déplacement singulier se fait jour face autraitement de la question par Annie Kriegel : ce n’est plus une greffe qui permet le communisme en France, mais la résurgence d’une tradition . Une autre découpe du temps historique apparaît, engagée par la longue durée. • Cette découpe témoigne d’un positionnement historiographique, lequel convoque une mise en intrigue, un récit. Précisément, les ressorts de ce récit – ses postulats – doivent aussise mesurer au renouveau historiographique de la Grande Guerre dont le communisme français est issu. Ce nouage n’a pas exactement lieu dans une analyse qui privilégie l’origine plus que les commencements selon la distinction de Paul Ricoeur4. Si l’on reprend les termes de son ouvrage – La mémoire, l’histoire, l’oubli –
1 Ian KERSHAW. « Retour sur le totalitarisme. Le nazisme et le stalinisme dansune perspective comparative ».
Esprit. Janvier 1996. n° 1-2. 2 Annie Kriegel. Aux origines du communisme français. Paris. Mouton. 1964. Le travail de Robert Wohl (French communism in the making (1914-1924). Stanford. University Press. 1966) semble ignoré par la réflexion de Romain Ducoulombier. 3 Ce texte est également en lignes sur le site électronique de la revue Dissidences consacrée àl’histoire des mouvements révolutionnaires. 4 L’origine tient au mythe : en histoire elle s’approche sous le masque de la matrice. En soit, elle repère un ensemble de faits mais peine à en dater précisément la genèse. A contrario, la définition donnée par Paul Ricoeur du commencement comme « constellation d’événements datés, placés par un historien en tête du processus historique que serait l’histoirede l’histoire ». Paul Ricoeur. La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris. Seuil. 2000. p 176.
2 il m’apparaît possible d’apprécier la problématique de Romain Ducoulombier au rebours de son appétence pour la longue durée. Lié à l’événement – la Grande Guerre – le premier communisme français puise dans une mémoire sociale ( l’homme nouveau de la révolution française) matière à construire son…