Pourquoi agir sur la vie plutôt que de la laisser aller comme elle va ?
éléments de corrigé Mise en perspective
Concernant la manière de vivre ou d’orienter notre vie, nous sommes souvent soumis à des injonctions contradictoires : prendre la vie comme elle vient, dont la formule consacrée serait le carpe diem (« cueille le jour ») d’Horace, dans l’insouciance de ce qui adviendra, dans lapréférence accordée aux plaisirs présents et à la fuite des souffrances ; ou, à l’inverse, chercher à lui donner un sens, une orientation, une forme déterminée, autrement dit ne pas se laisser aller au ?l de l’eau, métaphore ordinaire du temps qui passe mais aussi de la vie qui s’écoule irrésistiblement et irréversiblement. Ces injonctions contradictoires recouvrent l’opposition entre d’une part uneénergie tournée vers l’action, une volonté de construire qq chose, de réaliser des objectifs, un souci de maîtriser les éléments essentiels d’une vie (« construire sa vie », « faire de sa vie une œuvre »), et de l’autre le sentiment d’un ordre des choses sur lequel l’action n’a guère de prise, d’un cycle immuable (la vie comme « éternel recommencement ») dont la force est plus grande que toute volontéindividuelle, ce qui peut alors se traduire par l’acceptation sereine de ce qui advient en bien et en mal dès lors que cela ne « dépend pas de nous » (maxime d’inspiration stoïcienne), voire par la résignation fataliste devant ce qui doit arriver quoiqu’on y fasse et quels que soient les efforts déployés pour tenter d’y échapper (cf. à cet égard ce que Diderot met en scène dans Jacques lefataliste et son maître, démarcation ironique d’autres célèbres duos : Don Quichotte et Sancho Pança, Don Juan et Sganarelle …).
Problématisation
Même si ce « fatalisme » décrit une possible manière de faire face à la vie ou plutôt de se plier à son cours supposé inexorable, telle ne semble pas être l’attitude la plus répandue ni peut-être la plus cohérente : comment d’ailleurs être purementfataliste ? Nombre de comportements ont pour ?n d’orienter la vie d’une certaine manière, d’essayer de l’accorder à nos attentes, espoirs ou désirs. On pourrait même dire que cette con?ance ou cette résignation face à ce qui advient tranche non seulement avec tous les efforts qui consistent à agir sur notre vie, cad à chercher à lui donner forme et sens, mais également et peut-être davantage avec lesnombreuses pratiques, anciennes ou plus modernes, qui prétendent agir sur « la » vie comme telle, dans son sens le plus immédiatement organique, cad à en solliciter les ressources, à les combiner de manière volontaire et ré?échie, par un travail de transformation des formes de vie naturellement données. La question des rapports entre vie et action comporte ainsi un double niveau de sens : agir sur «sa » vie, cad pouvoir en déterminer une forme générale, choisir entre des « genres de vies » si l’on reprend la formule mise en perspective dans nombre de dialogues socratiques (notamment le Gorgias), ou agir sur « la » vie, au sens d’un processus organique lui-même complexe sur lequel on croit possible d’intervenir pour en orienter, en in?échir ou en modi?er le cours.
Agir sur la vie ne selimite donc pas à une préoccupation morale, même si cette dimension en fait pleinement partie en tant qu’elle évalue ce qui paraît réalisable et ce qui pourrait se révéler illusoire. La question est de plus grande ampleur et englobe les actions qui portent sur le vivant en tant que tel, comme ensemble de processus susceptibles d’une maîtrise et d’une transformation. Quelles sont les raisons de cettepropension générale à agir sur la vie, à vouloir en modi?er certaines formes extérieurement identi?ables ou certains processus plus dif?ciles à cerner et à maîtriser ? S’agit-il de prétendre en in?échir le cours, s’il ne nous convient pas, et à en reculer, au moins momentanément, le terme fatal, en refusant un processus naturel de déperdition progressive ? Y a-t-il là prétention démesurée,…