Annie moulin

Les paysans dans la société française, Annie Moulin

I. LA PAYSANNERIE DE L’ANCIEN REGIME A LA RESTAURATION. 1789-1815,

Le quart de siècle qui va de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration est décisif pour la paysannerie française.

1. Une paysannerie dominée et dépendante.
La société française d’Ancien Régime est avant tout rurale. Sur les 27 ou 28 millions d’habitants que compte laFrance en 1789, 22 millions pour le moins sont des ruraux et 18 millions d’entre eux forment la population agricole, femmes, vieillards, enfants compris. Près de trois Français sur quatre sont des paysans. Ils ne composent pas une, mais des paysanneries dans un royaume très cloisonné où la vie locale garde une grande part d’autonomie. Le paysan n’est pas un individu isolé. Des cadres juridiques,économiques et sociaux d’apparence assez figée règlent les conditions concrètes d’existence des communautés villageoises.

Le poids du système agricole.
La vie paysanne, profondément marqué par le travail, est étroitement dépendante des caractéristiques des systèmes de culture. Celui de la France du Nord repose sur une division du finage en trois parties aux statuts juridiques très différents.Au centre, le village, composé des maisons et des jardins qui ne sont pas toujours attenants. Cet ensemble échappe aux contraintes de la vie collective : la propriété n’est pas limitée. Le jardin est un lieu privilégié non soumis à la dîme et souvent aux impôts seigneuriaux. Le paysan l’utilise comme bon lui semble.
Au-delà commencent les terres labourées, consacrées principalement aux céréales.Cet espace agricole est soumis à la fois à de forts prélèvements seigneuriaux et à des contraintes collectives qui sont encore le fondement des communautés paysannes au XVIIIe siècle. La plus connue et la vaine pâture. Après la moisson, le statut de la terre change. Les champs deviennent vains, c’est-à-dire communs, vides de propriété individuelle. Les portes peuvent alors glaner que les épis quiont échappé à la faucille des moissonneurs ;les bestiaux, groupés en troupeau commun, viennent paître jusqu’aux labours. La vaine pâture impose aussi la contrainte de sole. Dans la mesure où il est interdit de clore, la liberté de culture ne peut exister pour l’exploitant. Cette zone est divisée en trois parties, appelées soles ou quartiers. Les cultures se succèdent sur chaque sole selon un rythmetrisannuel alterné. C’est l’assolement triennal.
La vaine pâture n’est pratiquée que sur les chaumes et non sur la jachère.
Les communautés d’habitants possèdent souvent des espaces non cultivés, broussailles, buissons, landes, forêts, marais. Ils fournissent de la litière pour les animaux, du bois pour le chauffage ou les réparations, un terrain de parcours pour le bétail, etc. L’étendue deces communaux est très variable selon les régions. En Artois, ils ne représentent que 3 à 4 % des terres agricoles, mais ils peuvent occuper plus de la moitié de certains terroirs du Massif central. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ils sont très menacés. À cause de la montée des prix des céréales, certains seigneurs cherchent à étendre leur emprise, tandis que la pression démographiqueencourage les paysans à des empiétements discrets aux limites des terres labourées. Dans le Nord et l’Est, ainsi que dans le Sud-Ouest, des édits de triage autorisent les partages : un tiers au seigneur, tandis que les habitants se répartissent les deux tiers restants. Ainsi, en Artois, de 1770 à 1781, le cinquième des communaux est partagé. Mais l’opposition des grands fermiers qui perdent ainsi despâturages a limité ses opérations. Ailleurs, c’est la part du seigneur qui est jugée inacceptable. Les partages ont exacerbé les clivages au sein de la société rurale entre des groupes dont les intérêts sont divergents.
Les trois éléments du système cultural, jardins, labours, communaux sont très inégalement répartis selon les types de terroir. Dans l’Ouest breton et le Centre-Ouest, où…