Apparition et disparition
Dans le cadre de notre culture occidentale chrétienne il est difficile de séparer la question de la disparition de celle de la divinité et de ses modes de visibilités. L’accolement au terme d’ « apparition » de son antonyme, « la disparition », tend à accréditer cette thèse dans la mesure où elle accentue le drame sous-jacent à la présence divine : son voilement,son retrait du monde. Ainsi toute apparition est vouée à être l’incarnation d’un manque, la mise en forme d’une absence, le rayonnement ici-bas, temporaire, d’un ailleurs. Il semble qu’on ne puisse sortir de ce dualisme, qu’il distribue les rôles et fasse de l’apparition la face lumineuse d’un seul et même dispositif. Ne pas appréhender ces connotations culturelles et religieuses accolées au motd’ « apparition », c’est courir le risque d’être silencieusement englouti par ses sous-entendus.
Autre point important à relever, la question de l’image. En effet, poser la question de l’apparition-disparition dans les arts plastiques c’est nécessairement interroger les modes d’émergence du regard. Qu’est-ce qu’une image ? Et qu’est-elle supposée nous montrer ? Qu’est-ce que son apparition éclaire?Et qu’est-ce que son retrait occulte ?
A cette approche de la notion d’apparition sous l’angle du divin j’aimerais opposer un autre regard, athée et immanent. Qu’en est-il de l’image dès lors qu’on envisage un présent sans arrière-monde ? Par exemple, à l’apparition éblouissante d’une vision surnaturelle ne peut-on opposer une apparition lente et silencieuse ? A l’évidence de la parole révélée, àl’aveuglement de la lumière divine, au mystère de l’incarnation et de la beauté ne faut-il pas opposer le lien impérissable qui unit la chose et son contexte, l’image et ce qui la rend possible, le monde et ses différentes manifestations ?
Une apparition c’est un moment unique, un temps exceptionnel qui présente à des yeux stupéfaits des réalités incommensurables. Il semble impossible apriori de détacher le terme d’apparition de la sacralité qui l’accompagne. Que ce soit la vierge, une star de la chanson, un être aimé, un orage sur la steppe déserte, un artiste, etc. Tout ce qui « apparaît » sous nos yeux le fait par la lumière. Toute apparition semble être à elle-même son propre rayonnement. Et autour d’elle un espace sacré se dessine. Une aura. La définition, célèbre, de Benjaminpeut servir d’aiguillage. L’aura, c’est « l’unique apparition d’un lointain », la mise en présence de l’impossible, l’incarnation, ici et maintenant d’un ailleurs. Ce qui ressort de cette première indication c’est la séparation profonde, douloureuse et infinie qui sépare le monde des hommes de la « zone » divine. Irrémédiablement coupé en deux, le monde dorénavant ne peut être uni ici-bas, sinonpour des durées et dans des conditions bien spécifiques. L’apparition, quelle qu’elle soit, est cette expression « unique » d’un lointain. Ce dualisme ne souffre que peu d’écarts et semble dessiner une carte universelle où se distribuent les rôles de chacun. Celui de recevoir et d’accueillir au mieux tout ce qui, de là-bas, s’adresse à nous ici et maintenant. Il y a de la tragédie dans cescénario. De la douleur également. Du manque. Car l’apparition vient combler, elle justifie presque le désert qui la précède. De même tout ce qui nous « apparaît » est voué à disparaître par la suite, nous laissant comme démunit face à l’ « orphelinage » à venir, sommés d’attendre consciencieusement la libération ultérieure et le salut dans l’au-delà. L’ « apparition » n’est que l’autre nom de l’ «épiphanie ». « Manifestation d’une réalité cachée », dévoilement et éclaircie. Ce qui apparaît et prend corps doit nécessairement être informé par le sublime. L’être suprême et l’être tout court agissent de fait par épiphanie. Ainsi toute action à quelque chose de dramatique. Elle scelle le commencement d’un monde. Elle s’origine perpétuellement. Nimbée de mystère, intouchable et partiellement…