Argent

Philosophie de l’argent Georg Simmel
Philosophie de l’argent
Georg Simmel
coll. Quadrige, éd. PUF, 1999, 672 p., 18 euros.

Résumé

Ce livre, que Simmel avait initialement intitulé Psychologie de l’argent, n’est pas un ouvrage de science économique. La première partie, dite « analytique », vise à comprendre les conditions psychologiques et sociologiques qui ont rendu possible l’échangemonétaire entre les hommes. La deuxième partie, dite « synthétique », montre comment le phénomène historique de l’argent comme intermédiaire universel des échanges influence les relations sociales, les sentiments des individus et la culture: l’argent est source de libération et d’aliénation pour l’individu qui s’autonomise.

Commentaire critique

La partie « analytique » du livre s’efforce demettre en évidence la genèse de l’échange monétaire et ses caractéristiques. Pour Simmel, chacun des partenaires de l’échange économique doit sacrifier un objet, donc le mettre à distance, pour obtenir un objet désiré, et ce dans un acte réciproque. Dans cette optique, la valeur des biens échangés n’est pas dans la valeur de l’objet ou dans le temps de travail nécessaire à sa production, mais dansl’échange, « forme originelle et fonction de la vie interindividuelle » : « L’argent n’est rien d’autre que la relativité des objets économiques, incarnée dans une figure spéciale et signifiant leur valeur », écrit-il. Si l’argent succède au troc, d’abord sous forme de substance concrète ou de monnaie-marchandise (peaux, tabac, etc.), il devient, avec le développement des échanges et de l’abstraction, unsigne, une quantité mesurable des biens échangeables, indépendante de sa valeur marchande parce que sa valeur repose sur la confiance qu’il inspire. L’argent est « un phénomène sociologique, une forme de la réciprocité d’action entre les hommes », mais l’échange argent-marchandise n’est qu’en apparence un rapport d’équivalence, puisque dans toute relation, y compris amoureuse, c’est celui qui estle plus distancié et détaché qui est en position de supériorité.
L’argent apporte un surcroît de valeur, de considération sociale aux riches, en raison de sa spécificité: il peut exprimer « la totalité des buts ». Ces caractéristiques de l’argent comme « outil absolu » expliquent pour Simmel pourquoi l’étranger s’intéresse à l’argent: n’ayant pas tous les droits du citoyen, il cherche à compenser soninfériorité sociale. Si l’argent reflète les rapports sociaux et la structure économique de chaque période de l’histoire, il est aussi le reflet des conceptions du monde. Avec le déclin des valeurs religieuses, la valorisation de l’argent comme fin en soi imprègne les rapports sociaux et la culture: les choses finissent par se réduire à leur coût au lieu de représenter des valeurs concrètes.Certains comportements montrent que la monnaie est devenue une valeur absolue: l’avare qui jouit de l’argent qu’il possède sans user de son pouvoir n’est ainsi que l’esclave de cette puissance abstraite.
Dans la partie « synthétique », Simmel étudie les effets de la monétarisation universelle des relations sociales sur la liberté, la culture et le style de vie. L’économie monétaire conduit à denouvelles formes de dépendance: l’emprunt, l’utilisation des moyens de production dont on n’est pas propriétaire. La division du travail multiplie les dépendances et favorise ainsi leur caractère d’indifférence: on observe une dépersonnalisation des rapports humains. Contrairement aux relations maître-serviteur, l’ouvrier ne dépend plus personnellement de son employeur: en vendant son travail comme unemarchandise, sa liberté est plus grande parce que les rapports de subordination sont devenus fonctionnels, mais il n’est pas en mesure de « donner sens à sa liberté » (liberté positive) et celle-ci demeure donc négative et formelle.
Plus la taille d’un groupe s’étend, plus l’économie monétaire se développe, favorisant l’individualisation et l’autonomie de ses membres. La vie en commun se fait de…