« Peut-on se mettre à la place d’autrui ? »
« Met-toi à ma place ! » Nous avons sans doute tous entendu cette phrase une fois dans notre vie, lorsqu’une personne traversait une situation douloureuse ou embarrassante. Il s’agissait alors d’une invitation au partage de cette souffrance, à sa compréhension, voire à l’excuse des actes qui en découlaient.
Nous verrons donc, dans un premier temps,pour quelles raisons il nous est envisageable, voire instinctif de se mettre à la place d’autrui. Puis à l’aide de nouvelles questions et développements nous montrerons, d’abord en quoi cette première idée est relativement limitée, puis pour quelles raisons l’homme ne peut et ne pourra jamais se mettre à la place d’autrui.
On peut se mettre à la place d’autrui, nous en avons la preuve tous lesjours, essentiellement dans la rue, au contact de personnes qui nous sont inconnues. On ne parle pas de se mettre à la place d’autrui, si celui-là est un ami, ou un proche. Cette situation ne nous intéresse pas, car notre réaction serait de l’ordre de la sympathie . Il faut donc supposer une situation dans laquelle un parfait inconnu nous apparaît comme faible, en danger ou malheureux.
Rousseauparlerait alors ici de pitié. Il affirme que cette réaction est instinctive, provoquée par notre côté animal. En effet, lorsque je vois quelqu’un, je le considère comme mon semblable, un homme fait de chair et d’os, qui tout comme moi possède une conscience, de soi, et de moi. Si je le vois souffrir, ou en danger, l’instinct me pousse à l’aider, ou à me sentir relativement mal à l’aise, car sonappartenance à la même espèce que moi fait que je m’identifie à lui. On note qu’en tant que spectateur d’une situation similaire à laquelle j’ai pu être confronté, la connaissance de la douleur (et non l’imagination de la douleur) permet à ma mémoire de me la rappeler, et même de me la restituer, ce qui entraîne une accentuation de l’empathie déjà éprouvée pour l’autre.
Nous avons donc vu quel’homme se mettait à la place de l’autre de façon involontaire. Revenons sur notre problématique «peut-on se mettre à la place d’autrui?» Notre vécu, qui nous a fait entendre, ou dire cette phrase, uniquement dans des situations de souffrance ou d’embarassement, ne nous induit-il pas en erreur ?
Si l’on se penche sur le sens des mots et de l’expression même, on perçoit une nette différence avecl’idée qu’on se faisait d’elle.
Intéressons-nous d’abord au terme « Peut », le Pouvoir, l’autorité, la force. On distingue déjà deux sens dans ce mot : le sens « matériel » du terme, au niveau des capacités humaines physiques ou intellectuelles ; et le sens « légal » du terme, c’est-à-dire le droit par rapport à la loi, les règles établies. C’est ici la première définition du pouvoir décrit quiest concernée, celle de la possibilité matérielle.
L’utilisation de « on » induit une idée de point de vue universel, « tout homme ». On s’attache au sens large du terme, l’espèce humaine, ce qui rejoint l’idée de ses capacités matérielles, mentales, intellectuelles.
Le mot « se » désigne l’être en lui-même, en tant que sujet, ayant conscience de soi. «Mettre à la place de » suppose unchangement de situation, une nouvelle position, occupée au préalable par un autre. Enfin « autrui », signifie alter ego, autre moi. Il est caractérisé à la fois par la proximité et à la fois par la distance : proximité car il s’agit d’un être pensant, conscient de lui (donc de moi), distance car sa conscience est originale, propre à lui-même, à son vécu.
Nous arrivons donc à une problématique dontla signification se rapproche de :
« L’homme, à partir de ses facultés physiques et mentales de base, est-t-il alors en mesure, par un effort moral ou intellectuel, d’adopter le point de vue, d’un autre homme ? »
Cela semble impossible : Qu’es-ce qui fait que je suis moi ? Sans aborder le côté physique de l’être (qui influe indubitablement sur la personnalité), je suis une accumulation de…