La Chine du début des années 70 est toujours sous le joug de sa Révolution Culturelle. Rééduquer les « intellectuels » en les faisant travailler chez les paysans pour les mettre au contact de la dure réalité, telle était alors la politique de Mao. Deux jeunes adolescents, Luo et Ma, fils d’intellectuels appartenant au milieu médical et scientifique et à ce titre, sont considérés par l’appareil duparti comme des « ennemis du peuple » notoires et sont envoyés en rééducation dans une région perdue de l’Empire du Milieu. Aux confins du Tibet, la Montagne du Phénix du Ciel porte bien son nom… Décor sauvage de pics aigus. Escalier de pierre qui se perd dans les nuages. Là-haut, une minuscule vallée perdue. Un lac. Là est le village et ses habitants rustres, frustes, illettrés, à l’image de leurchef.
Dès leur arrivée, les jeunes rééduqués apprennent sur le tas l’art de la débrouillardise et de la fronde. « Mozart pense au président Mao »… Luo n’a pas l’ombre d’une hésitation lorsqu’il doit rebaptiser ainsi une sonate interdite du compositeur occidental décadent, et ce dans le seul but de sauver d’un autodafé évident, le violon bourgeois de son ami. Sous le charme de la sonaterévolutionnaire, le chef du village lève la sanction contre l’objet subversif et le violon est sauvé… Ma et Luo s’installent dans leur nouvelle vie de rééduqués. Corvées avilissantes. Travail épuisant dans les rizières. Extraction à mains nues du minerai de quelque mine oubliée, infestée de paludisme. Vu leurs antécédents familiaux, Ma et son ami n’ont que peu de chance de retourner un jour à la vienormale. « Trois pour mille », selon les statistiques : une véritable condamnation à la rééducation à perpétuité.
Un jour, Luo et Ma font la connaissance du Vieux Tailleur et de sa ravissante petite-fille. Le grand-père, possesseur d’une inestimable machine à coudre d’un autre âge, mais pourtant incontestable symbole de modernité, est en charge du catalogue des modes de ce coin perdu aux antipodes de lacivilisation occidentale.
Luc tombe fou amoureux de la Petite Tailleuse et décide de l’éduquer en lui racontant des histoires dont, au début, il trouve l’inspiration dans les mélodrames chinois et les films nord-coréens que le chef du village les envoie voir à la ville voisine, à deux jours de marche. Charge à eux d’en faire le récit mimé aux villageois, le soir à la fraîche.
Luo et Ma se fontrapidement une réputation de conteurs émérites. Mais la matière première, soumise aux aléas de la programmation cinématogaphique d’une salle de fêtes de campagne, fait rapidement défaut. La Petite Tailleuse apprend aux deux adolescents qu’un troisième jeune rééduqué, le Binoclard, fils d’un écrivain et d’une poétesse connus, cache sous son lit une valise remplie de romans étrangers.
La PetiteTailleuse, Luo et Ma décident de voler cette valise et y découvrent un vrai trésor. Flaubert, Hugo, Tolstoï, Dickens, Rolland, Dumas, Rousseau et, bien sûr, Balzac. Toute une littérature éminemment subversive et évidemment, absolument interdite. La découverte est inavouable. Luo et Ma travaillent le jour et lisent la nuit… dans le plus grand secret. Il se noue entre les trois héros une complicité àla fois amoureuse et amicale.
Soir après soir, Luo et Ma racontent aux habitants du village les aventures d’Ursule Mirouët, ou celles du Comte de Monte-Cristo, en les assaisonnant généreusement à la sauce révolutionnaire. Le Chef du Village est permissif, pour autant que ces histoires soient dédiées à la gloire du Grand Timonier. Le Vieux Tailleur est surtout séduit par les élégancesLouis-Philippardes telles que les décrit Dumas, au point qu’un zéphyr méditerranéen souffle sur sa création, transformant les villageoises en autant de petits marins royalistes.
Luo et Ma puisent dans ces livres leur nourriture intellectuelle et s’initient à l’art d la séduction. La Petite Tailleuse, elle, fait son éducation sentimentale au travers de l’œuvre de Balzac, l’auteur qu’elle préfère car,…