Bel ami

MAUPASSANT

Bel-Ami
´ Edition avec dossier d’Adeline Wrona no 1356 / 3,30 €

es eleves de premiere doivent desormais aborder l’objet ´` ` ´ d’étude intitule « Le roman et ses personnages : visions ´ de l’homme et du monde ». Les supports ne manquent pas – la profusion en la matiere peut meme devenir facteur ` ˆ d’embarras. Or Bel-Ami, recit d’un seducteur ambitieux qui, ´ ´ grace a soncharme, reussit dans les milieux de la presse ´ ˆ ` sous la IIIe Republique, se revele etre un choix pedagogique ´ ´ ` ˆ ´ judicieux. En effet, l’œuvre de Maupassant s’inscrit remarquablement dans la perspective du nouveau programme : le roman propose une histoire singuliere sur un mode réaliste tandis ` que la fiction offre une representation du monde et des per´ sonnages à valeur emblematique. Ainsi,l’ecrivain se penche ´ ´ sur les mœurs journalistiques non seulement parce qu’il les conna?t bien (Maupassant est un chroniqueur prolixe), mais ˆ parce qu’elles presentent un interet romanesque evident. ´ ´ ˆ ´ Raconter le parcours d’un journaliste permet a la fois de ` reveler un destin singulier et de proposer un regard sur la ´ ´ societe d’une facon d’autant moins artificielle que le heros a ¸´´ ´ charge professionnelle d’observer et de decrypter l’actualite. ´ ´ Par l’evocation des enquetes de Duroy ou de ses collegues, ´ ` ˆ le lecteur decouvre ainsi certains arcanes peu reluisants de la ´ France de la fin du XIXe siecle. Mais le mimetisme entre ` ´ presse et societe va plus loin. C’est moins dans les articles ´´ publies que dans l’organisation meme de La Vie francaise, ¸ ´ ˆconsideree comme entreprise et comme microsociete, que se ´ ´ ´´

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Bel-Ami

´ ETUDIER B EL-A MI ` EN CLASSE DE PREMIERE ?

I . P OURQUOI

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manifeste l’esprit du temps : la verite y est manipulee au ´ ´ ´ profit des puissances d’argent. Les interets particuliers de la ´ ˆ finance, de la politique et de la presse convergent au mepris ´ de la plus elementaire morale republicaine quiprivilegie l’in´´ ´ ´ teret de tous. Dans cette perspective, les personnages se ´ ˆ parent d’une dimension exemplaire : par leur comportement, ils rendent lisible leur epoque. Le manque d’independance ´ ´ des journalistes, leur insuffisance intellectuelle et morale pre´ sentent ainsi un symptome saisissant de la maladie democra´ ˆ tique qui gangrene le nouveau regime. Et Georges Duroy fait ` ´ figure decatalyseur : heros mediocre, individualiste, sans ´ ´ scrupule, avide de gloire et d’argent, il est un excellent repre´ sentant de sa generation et de sa profession. De meme, le ´ ´ ˆ role des femmes revet une importance particulière puisqu’il ˆ ˆ revele entre autres la place primordiale de la libido dans les ´ ` rapports humains, notamment quand reside un enjeu de ´ pouvoir. Le dessin de lasociete qui transpara?t en filigrane a travers ´´ ` ˆ l’histoire singuliere et fictive de Bel-Ami n’a, a l’evidence, ` ` ´ rien d’objectif. Mais la force du roman tient aussi a la facon ¸ ` implicite dont s’exprime le cynisme du romancier. L’efficacite de la charge critique na?t precisement de la rarete du ´ ´ ´ ´ ˆ discours (present tout de meme a travers les propos pes´ ` ˆ simistes de l’homme delettres Norbert de Varenne) : c’est en exposant plus qu’en denoncant que Maupassant distille ¸ ´ son jugement. La part de suggestion inherente a l’ecriture ´ ` ´ romanesque laisse ainsi au lecteur le loisir de l’interpretation ´ et a l’eleve le plaisir de l’explication. ` ´` Enfin, Bel-Ami demeure captivant de bout en bout : le style simple et nerveux, le recit tendu epousent l’evolution ´ ´ ´fulgurante de l’impatient heros et evitent les longues descrip´ ´ tions qui font fuir les lecteurs les moins avertis. Il est vrai que l’histoire fait reference a l’actualite des annees 1880. ´ ´ ` ´ ´ Cependant, les escroqueries de fin de siecle, les interviews ` truquees, le trouble melange entre argent, politique et journa´ ´ lisme rencontrent, dans notre monde « moderne », un echo ´ que les eleves…