Rien ne prédispose Jean-Baptiste Poquelin, fils d’un bon bourgeois, tapissier ordinaire du roi, à monter sur les planches, après avoir fait ses humanités au collège des jésuites de Clermont (l’actuel lycée Louis-le-Grand) et obtenu une licence en droit à Orléans. il renonce au barreau et à la charge de son père pour fonder avec Madeleine Béjart l’Illustre-Théâtre, entreprise vouée à l’échec faceaux deux puissantes troupes de l’Hôtel de Bourgogne et du Marais, ce qui le mène tout droit en prison pour dettes. La troupe entreprend une tournée de plusieurs années en province, notamment dans le sud de la France – c’est durant cette période que Molière se forme et reçoit la protection successive de plusieurs grands personnages du royaume dont Monsieur, frère du roi ; cela lui permet de jouer àParis en 1658 devant le souverain, plus sensible à son interprétation d’une simple farce, le Docteur amoureux, qu’à celle de Nicomède du grand Corneille, et d’obtenir, en alternance avec les comédiens-italiens, la jouissance de la salle du Petit- Molière n’a alors écrit que des farces aujourd’hui perdues, à l’exception du Médecin volant et de la jalouse du barbouillé, ainsi que deux comédies,l’étourdi joué à Lyon en 1655) et le Dépit amoureux joué à Béziers en 1656) qui ne lui ressemblent guère.
Il commence à se trouver avec les Précieuses ridicules (1659), où s’allie à la tradition de la farce (déguisements, soufflets et bastonnades) la satire aiguë d’une mode contemporaine. Il continue de s’affirmer, non sans tâtonnements, avec Sganarelle ou le Cocu imaginaire (1660), l’école desmaris (1661), les Fâcheux (1661),une comédie-ballet, et une tentative malheureuse vers le genre plus sérieux de la comédie héroïque avec Dom Garcie de Navarre (1661), qui trahit sans aucun doute sa volonté d’échapper à la réputation de » farceur » que ses premiers ennemis lui font. Il réussit son coup de maître, quelques mois après son mariage avec Armande Béjart, en écrivant l’école des femmes(1662), la première des comédies de la maturité en cinq actes et en vers : sur fond d’intrigue rebattue (la précaution inutile), il réussit la peinture d’un Arnolphe, barbon profond et tourmenté par la peur d’être trompé, un obsédé en somme – le premier d’une lignée à venir qui fait le malheur de ses proches, de sorte que la pièce oscille entre le comique et le pathétique.
Avec une telle matricedramatique, qu’il réutilisera souvent, Molière a trouvé là sa voie propre. Infatigable, Molière est à la fois le directeur, l’auteur, le metteur en scène, et l’un des tout premiers acteurs de la troupe à laquelle le roi accorde protection et pension, ce qui n’est pas sans susciter des jalousies. Molière y répond au moyen de deux courtes pièces, la Critique de l’école des femmes (1 663) etl’impromptu de Versailles (1663), dans lesquelles il se défend et surtout entreprend la réhabilitation du genre comique, peu goûté des doctes en regard de la tragédie, et qui ne s’ennoblit que dans les années 1650.
En 1664, au moment des somptueuses réjouissances organisées à Versailles, » les Plaisirs de l’Ile enchantée « , Molière, sur qui repose l’organisation de la fête, jouit du plus grand crédit :pour satisfaire le goût du monarque pour la danse, il conçoit le genre nouveau de la comédie-ballet ; Louis XIV, de son côté, accepte d’être le parrain de son premier enfant et lui suggère amicalement de rajouter à sa galerie d’importuns des Fâcheux le portrait du chasseur. A cette occasion, il donne entre autres une première version en trois actes du Tartuffe, dont la représentation publique nesera autorisée par le souverain que cinq ans plus tard, en raison de la hardiesse du sujet traité : non seulement la mise en garde contre l’hypocrisie religieuse risque de discréditer les vrais chrétiens, mais le héros, déplaisant bien que lucide et intelligent, n’est rien moins qu’ambigu.
En butte à toutes sortes d’ennuis et de tourments, mais fort de la bienveillance royale – en 1665, la…