Sujet de dissertation sur le roman moderne avec quelques éléments de réponse.
En vous appuyant sur le sang noir de Louis Guilloux et la nouvelle histoire de Mouchette de Georges Bernanos, commentez ce jugement d’André Malraux : « le roman moderne est, à mes yeux, un moyen d’expression privilégié du tragique de l’homme, non une élucidation de l’individu ».
Quelques remarques préliminairesMalraux oppose une voie moderne du roman, consacrée à « l’expression du tragique de l’homme », à une voie plus ancienne qui visait « l’élucidation de l’individu ». Cette expression définit une esthétique romanesque, celle qui ne se consacrera pas uniquement à l’action, au récit, ou à la peinture sociale (Balzac, Zola) mais à l’analyse psychologique des êtres. Elucider, c’est percer lemystère, découvrir le secret d’un individu. Un certain « récit à la française » s’est consacré à cette exploration de l’âme et de ses passions ( la princesse de Clèves, un amour de Swann …). Exprimer le tragique de l’homme, c’est d’abord passer à un plan plus général, celui de « ;la condition humaine » et non plus d’un seul de ses représentants. C’est avoir de cette condition une conception trèsparticulière que le mot tragique exprime avec une richesse de sens qu’il faut maîtriser. Cette catégorie n’est pas pour nous esthétique. Elle renvoie à un « sentiment tragique de la vie » dont de nombreux philosophes du 19° ont donné des définitions variées qui pourraient se résumer en quelques éléments simples :
– Le tragique naît lorsque l’homme doit faire face à un conflit à la foisinéluctable et insoluble. Déchiré, impuissant à trouver une solution, il est brisé et se sent coupable. Ce conflit prend sa source au plus profond de la nature humaine elle-même.
– Ce conflit amène l’homme à se confronter avec une force qui le dépasse (destin, volonté divine, pulsion, passion hérédité …).
– Ce conflit pose la question de la liberté de l’homme
Quelques éléments deréponses
1. Le roman permet de voir plus clair dans le cœur des hommes, affirme Malraux. Il permet de percer le secret que chacun porte en lui surtout quand l’individu est placé dans des circonstances qui supposent des décisions graves, radicales :le renoncement au monde ( la princesse de Clève s), le meurtre ou la tentative de meurtre ( Thérèse Desqueyroux), le suicide. Face à de tels actes,le lecteur veut comprendre pourquoi : pourquoi commettre l’irréparable ? Le roman permet d’élaborer des réponses :
a. En construisant tout un faisceau d’explications, qui sera l’équivalent romanesque de la richesse, de la complexité de la psyché. Le suicide de certains héros est la résultante de déceptions ou de tensions très variées récentes ou anciennes. Raisons philosophiques,personnelles ou politiques. Tel Cripure dans le sang noir de Guilloux. Ces éléments diffus et généraux sont renforcés par des événements tragiques qui se bousculent dans la même journée : l’annonce de la mort de Toinette par exemple.
b. La progression dramatique peut elle aussi participer de l’élucidation du suicide puisqu’elle guide inéluctablement personnages et lecteur vers ce dénouement.
c.On peut enfin s’arrêter sur les moyens stylistiques et narratifs de cette élucidation : discours indirect libre donnant accès aux réflexions désabusées de Cripure, « style de la tendresse » chez Bernanos , empathie qui permet au narrateur d’accompagner cette âme blessée. Chez d’autres aut eurs, le recours au journal intime permet ce travail d’analyse et d’expression de soi ( par exemple dans lanausée, le projet de Roquentin exposé dès la première page : « Tenir un journal pour y voir plus clair ».
En conclusion de cette première partie, nous pouvons dire que le roman des années trente ne néglige pas cette vocation d’analyse, d’élucidation de l’individu dans sa singularité, son mystère, ses souffrances, ses déceptions. Il n’a cependant pas l’ambition de…