Mon Dieu , je sais bien que tout cela n’a aucune importance, Isabelle est si parfaite par d’autres traits, son abnégation…son désir de rendre heureux tous ceux qui vivent autour d’elle. Elle atransformé la vie de ma mère à Gandumas…Peut-être parce qu’elle n’a pas elle- même de goûts très vifs, elle semble toujours occupée à deviner les miens et à les satisfaire. Je ne puis exprimer devant elleun désir sans la voir rentrer le soir, avec un paquet contenant ce que je souhaitais. Elle me gâte comme on gâte un enfant, comme j’ai gâté Odile. Mais je sens avec tristesse, avec effroi, que tant degentillesse m’éloigne plutôt d’elle. Je me le reproche, je lutte, et je n’y puis rien. J’aurais besoin…de quoi ? Qu’est-ce qui est arrivé ? Il est arrivé , je crois, ce qui arrive toujours avec moi :j’ai voulu incarner en Isabelle mon Amazone, ma Reine, et aussi en un certain sens Odile qui, dans mon souvenir, se confond maintenant avec L’Amazone. Or Isabelle n’est pas ce type de femme, je luiai distribué un rôle qu’elle ne peut jouer. Ce qui est grave, c’est que je le sais, que j’essaie de l’aimer telle qu’elle est, que je comprends qu’elle est digne d’être aimée et que je souffre.
Maispourquoi, bon Dieu, pourquoi ? Je possède ce bonheur si rare, un grand amour. J’ai passé ma vie à appeler le « romanesque », à souhaiter un roman réussi ; je l’ai et je n’en veux pas. J’aime Isabellemais j’éprouve auprès d’elle un tendre et invincible ennui. Maintenant je comprends combien j’ai dû moi-même ennuyer Odile. Ennui qui n’a rien de blessant pour Isabelle, comme il n’avait rien deblessant pour moi, car il ne vient pas de la médiocrité de la personne qui nous aime, mais simplement de ce que, satisfaite elle-même par une présence, elle ne cherche pas et n’a pas de raison de chercher àremplir la vie et à faire vivre chaque minute…Hier soir, nous avons passé toute la soirée , Isabelle et moi, dans la bibliothèque. Je n’avais pas envie de lire. J’aurais souhaité sortir, voir des…