Texte –etranges étrangers – Jacques Prévert
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Dans le poème en vers libres, Etranges étrangers, Jacques Prévert, compagnon de route du surréalisme et humaniste engagé, dresse une liste des peuples qui font la richesse et la diversité de la France de l’après-guerre. Ce poème entend faire exister en les nommant ces travailleurs de l’ombre, ces humbles étrangers quiparticipent à la construction et à l’histoire de la France, qui est encore en 1955 un empire colonial. Nous nous efforcerons de cerner la nature de la force argumentative du poème entre lyrisme et dénonciation. Il conviendra alors d’étudier dans un premier temps la forme singulière de ce poème, sorte de lettre ouverte et d’hommage autant que litanie. Nous nous attacherons ensuite à la description de cesdéracinés dont le poète détaille chaque fois l’identité et la fonction sociale. Enfin, nous conclurons sur le choc des mondes que donne à voir le texte, choc des cultures qui se lit à travers les nombreuses oppositions qui parcourent le texte et en constituent la force argumentative.
Tout d’abord, la forme du poème est originale. Le texte, écrit en 1955, se singularise par une libertéformelle autant que par sa simplicité qui a fait par ailleurs la notoriété de la poésie de Prévert : simplicité du vocabulaire et des tournures syntaxiques, simplicité aussi des images qui leur confère ainsi une puissante évidence, simplicité, enfin, d’une écriture poétique qui ne cherche pas les effets et joue de manière légère avec les retours de sons (la plupart des rimes -quand il y en a- sontpauvres – le son [e] revenant le plus fréquemment). Le texte se présente ainsi comme une sorte de lettre ouverte, comme l’atteste l’emploi du pronom de deuxième personne que l’on rencontre à partir du vers 25 : où peu vous vous baignez. Le poète s’adresse à ces étrangers, et ce n’est que dans les dernières strophes que l’on connaît les motifs qui justifient une telle apostrophe. Le poème est un messageadressé à ces étrangers, une déclaration de fraternité et d’amitié comme en témoignent les derniers vers : vous êtes de la ville ». Il s’agit précisément de rendre ces étrangers proches et familiers, de combattre ainsi les préjugés qui les rejettent ou les stigmatisent.
Le poème s’offre à lire comme une longue liste. Les strophes enchaînent les descriptions sommaires consacrées aux étrangersqui constituent une force de travail, une main d’œuvre dont Prévert s’attache à dénoncer l’exploitation. Ce sont tour à tour les Kabyles, puis les Bohémiens, les Tunisiens, les Polonais, les Espagnols, les Africains, enfin les Indochinois. Cette liste énumère les peuples conquis par l’empire colonial français en plein conflit (la guerre d’Indochine vient de s’achever, et celle d’Algérie a déjàdébuté) et ceux qui se sont exilés pour des raisons politiques (rescapés de Franco) ou économiques (Polacks du Marais). Les termes choisis par l’auteur pour désigner ces peuples sont par moment simplement référentiels (Tunisiens par exemple) et parfois connotés (Polack au vers 15 est une façon familière et dévalorisante de nommer les travailleurs polonais. Prévert reprend ici ce vocable méprisant pouren faire, paradoxalement, un titre de gloire). A ces désignations géographiques vient s’ajouter l’adjectif apatrides lequel renvoie à l’exil et au déracinement. Le poème, dans sa force litanique, effectue un tour du monde salutaire qui s’achève à Paris (partout présente dans la première strophe, le vers 33 la désigne ensuite par la périphrase –la capitale, le vers 51 en est une probable allusionà travers le groupe la ville). Paris, cité cosmopolite, creuset où viennent se mélanger les cultures et les couleurs.
Ainsi, cette liste est un hommage rendu à ces hommes, une célébration qui passe par les noms, ces noms que le poète prend plaisir à dire et qui font exister ceux que l’on nomme.
Tout l’intérêt du texte réside dans la manière dont ces étrangers sont caractérisés. Tout…