Commentaire de Stendhal, Le Rouge et le Noir, II, chap. 41.
Longtemps considéré comme un genre mineur, le roman connaît un âge d’or au XIXe siècle, notamment grâce à sa capacité à peindre des personnages et la société dans laquelle ils vivent.
Stendhal, dont le vrai nom est Henri Beyle, né en 1783 à Grenoble et mort en 1842 à Paris, incarne la transition entre Romantisme et Réalisme. Il faitpartie de cette génération de jeunes gens portés par le souffle de la Révolution, mais critique à l’égard de l’affadissement bourgeois qui s’ensuit. Son œuvre comprend des nouvelles telles les Chroniques italiennes, des textes autobiographiques comme Vie de Henry Brulard, mais il est aussi l’auteur de romans célèbres : La Chartreuse de Parme, Lucien Leuwen… Le Rouge et le Noir, sous-titréChronique de 1830, relate le destin tragique de Julien Sorel, fils de charpentier dont les rêves d’ascension sociale seront brisés. Dans la deuxième partie du roman, Julien est amoureux de Mathilde de La Mole, fille d’un aristocrate disposé à favoriser sa carrière militaire, mais sa première maîtresse Mme de Rênal écrit pour dénoncer sa conduite. Il la blesse d’un coup de feu tiré à l’église. Emprisonné,il la revoit, se réconcilie avec elle. L’extrait étudié, situé vers la fin du roman, présente son procès.
On peut s’interroger sur les fonctions remplies par ce passage. On analysera tout d’abord la peinture sociale et la critique de la justice, puis on étudiera le portrait d’un héros romantique, avant de s’intéresser à l’ironie du romancier.
Plan détaillé :
I La peinture sociale et lacritique de la justice
1. Le point de vue adopté
Jeu de points de vue avec un narrateur omniscient et un point de vue interne : accès aux pensées de Julien : « Pleurerait-elle, par hasard ? », discours à la première personne.
Le narrateur décrit les circonstances, romanesques, du procès qui se termine durant la nuit : « Minuit sonna ».
Une hyperbole souligne la tension qui règne dans la salle (etdans la ville) : « au milieu de l’anxiété universelle ». Le récit évoque les différents personnages en présence : le président, Julien, l’avocat général qui « bondissait sur son siège », les jurés, mais aussi le public et notamment les femmes qui « fondaient en larmes » : tableau précis et varié.
2. Le discours de Julien : une auto-accusation
Le romancier diversifie les formes de discours :style indirect « le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter », style direct avec l’importante prise de parole de Julien ll.8 à 20, mais également discours narrativisé avec le résumé des paroles de Julien à la fin du passage : « il dit tout ce qu’il avait sur le cœur » l.20.
Julien s’exprime clairement, « en affermissant sa voix » précise le narrateur l.10, et l’onobserve différentes marques d’éloquence : l’apostrophe « Messieurs les jurés » l.8, reprise l.13, le sens de la formule : « je ne vous demande aucune grâce »l.10 ; « la mort m’attend : elle sera juste » ; « mon crime est atroce, et il fut prémédité » « J’ai donc mérité la mort »… Ces propositions brèves, rythmées, sont particulièrement frappantes, d’autant plus qu’elles sont prononcées par l’accusélui-même : Julien semble d’abord composer son propre réquisitoire, mais il dresse également une virulente critique de la justice.
3. La critique de la justice et de la société
Elle est notamment basée sur des antithèses : « l’honneur d’appartenir à votre classe »/ la bassesse de sa fortune »« mériter de pitié »/ « punir en moi et décourager à jamais »l.15 ; « nés dans un ordre inférieur »/ » ceque l’orgueil des gens riches appelle la société » ; « quelque paysan enrichi / des bourgeois indignés » l.19 ; Julien met ainsi en lumière ainsi de façon abrupte ses propres origines modestes et le caractère implacable des injustices sociales, apparentes dans la composition même du jury : « je ne suis point jugé par mes pairs » assène-t-il.
De même la formule « opprimés par la pauvreté »…