De l’art de gouverner par les lois et par la force d’après nicolas machiavel par julien bukonod

0. INTRODUCTION GÉNÉRALE

0.1. Problématique

L’homme, à en croire Aristote, est un animal social, et donc condamné à vivre dans la société qui, d’après Hannah Arendt, conditionne toutes les actions humaines. Si la société est une nécessité à laquelle l’homme ne peut échapper, elle n’est pas pour autant immédiatement ordonnée et régulée de sorte que tous oeuvrent dans la même direction etpour le bien commun. C’est justement ce désordre ou, comme disait Kant, cette « insociable sociabilité » qui rend nécessaire l’établissement d’un gouvernement ou un organe investi du pouvoir exécutif afin de diriger un État.

Contrairement à Epicure, pour qui l’aventure politique est aléatoire et dangereuse – « Tiens-toi à l’écart de la place publique », disait-il – et aux philosophessceptiques qui sont généralement hostiles à toute forme d’engagement dans le domaine politique, Aristote, pour qui l’homme est aussi un zôon politikon (animal politique), lui conseille de s’y engager. Car, pense-t-il, c’est le seul moyen d’accéder au bonheur véritable, au bien commun, à la justice et à la morale. Et pour y arriver, il faut, d’après Thomas Hobbes, un souverain, la seule personne avec quila justice et la morale débutent dans la société[1].

Selon Nicolas Machiavel (1469 -1527), ce souverain doit être un hypocrite démagogue incarnant en lui l’homme et la bête. Le prince, comme le nomme Machiavel, doit user des lois et de la force pour guider mais également pour conserver le pouvoir. Pour Machiavel, tous les moyens sont efficaces quand ils sont nécessaires. Toutefois, le princedoit toujours paraître vertueux en public. Ainsi, pendant qu’il n’est pas nécessaire pour le prince d’avoir toutes les vertus, il est très nécessaire pour lui de sembler les avoir. D’où la maxime machiavélienne, « gouverner, c’est dissimuler ».

A un ami qui nous posa la question de savoir pourquoi ceux qui travaillent sur la politique traitent toujours de la morale, nous répondions encitant Bruno Ntumba Muipatayi : « Ce qui nous a poussé à réfléchir davantage sur ce thème (morale et politique) est le contexte national et international où la politique semble truffée de mensonge, de démagogie, d’anarchisme et de meurtre. Dans notre culture luba, n’a-t-on pas identifié politique et mensonge ?» [2]. Comme quoi, la politique ne serait rien d’autre que le mensonge. Myriam RevaultD’Allones corrobore cette pensée quand elle affirme que « L’art de gouverner est celui de tromper les hommes»[3]. Dès lors, faut-il crédibiliser Machiavel ? La satisfaction du bien commun et la pratique du pouvoir peuvent-elles justifier le droit de ne pas se conformer aux exigences de la morale ? Existe-il un droit ou un devoir de vérité en politique ? Aujourd’hui, peut-on gouverner sans dissimuler ?0.2. Intérêt et choix du Sujet

La théorie du « noble mensonge » dans la République (354 av. J. C.) de Platon, la République (54 av. J. C.) de Cicéron, le Léviathan (1651) de Hobbes et De l’esprit des lois (1758) de Montesquieu ne sont nullement critiqués de la manière que l’a été, l’est, et peut-être le sera la pensée politique de celui que Gilbert Maurin de l’Académie Goncourt surnomme leplus grand théoricien politique, Niccolò Machiavelli. La preuve en est que de ces quatre œuvres citées, seule celle de Machiavelli fut mise à l’index (le 30 décembre 1559) avant d’être entérinée plus tard (à partir de 1564). De ce fait, l’on pourrait d’emblée dire que s’il ne s’agissait pas d’une hérésie, il s’agissait du moins d’une immoralité quelconque.

Il est vrai qu’en prenantlittéralement, entendez par là « en décontextualisant », l’œuvre littéraire de Machiavel (Le Prince, La Mandragore, Les Discours sur la première Décade de Tite-Live, L’Art de la guerre, Les Histoires florentines, Vie de Castruccio Castracani …), l’on consentirait avec tout le monde que le machiavélisme est un mal à bannir à tout prix. Cependant, pris dans son contexte, il nous serait difficile de…