Devoir autobiographie

L’AUTOBIOGRAPHIE

TEXTE 1 : Michel Leiris, L’Age d’homme,, 1939.
« Gorge coupée »

Âgé de cinq ou six ans, je fus victime d’une agression. Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à m’enlever des végétations ; l’intervention eut lieu d’une manière très brutale sans que je fusse anesthésié. Mes parents avaient d’abord commis la faute de m’emmener chez lechirurgien sans me dire où ils me conduisaient. Si mes souvenirs sont justes, je m’imaginais que nous allions au cirque ; j’étais donc très loin de prévoir le tour sinistre que me réservaient le vieux médecin de la famille, qui assistait le chirurgien, et ce dernier lui-même. Cela se déroula, point pour point, ainsi qu’un coup monté et j’eus le sentiment qu’on m’avait attiré dans un abominable guet-apens.Voici comment les choses se passèrent : laissant mes parents dans le salon d’attente, le vieux médecin m’amena jusqu’au chirurgien, qui se tenait dans une autre pièce en grande barbe noire et blouse blanche (telle est, du moins, l’image d’ogre que j’en ai gardée); j’aperçus des instruments tranchants et, sans doute eus-je l’air effrayé car, me prenant sur ses genoux, le vieux médecin dit pour merassurer : «Viens, mon petit coco ! On va jouer à faire la cuisine. » A partir de ce moment je ne me souviens de rien, sinon de l’attaque soudaine du chirurgien qui plongea un outil dans ma gorge, de la douleur que je ressentis et du cri de bête qu’on éventre que je poussai. Ma mère, qui m’entendit d’à côté, fut effarée.
Dans le fiacre1 qui nous ramena je ne dis pas un mot ; le choc avait été siviolent que pendant vingt-quatre heures il fut impossible de m’arracher une parole ; ma mère, complètement désorientée, se demandait si je n’étais pas devenu muet. Tout ce que je me rappelle de la période qui suivit immédiatement l’opération, c’est le retour en fiacre, les vaines tentatives de mes parents pour me faire parler puis, à la maison : ma mère me tenant dans ses bras devant la cheminéedu salon, les sorbets qu’on me faisait avaler, le sang qu’à diverses reprises je dégurgitai et qui se confondait pour moi avec la couleur fraise des sorbets.
Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d’enfance. Non seulement je ne comprenais pas que l’on m’eut fait si mal, mais j’avais la notion d’une duperie, d’un piège, d’une perfidie atroce de la part des adultes, qui nem’avaient amadoué que pour se livrer sur ma personne à la plus sauvage agression. Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trapes2, n’est qu’une vaste prison ou salle de chirurgie ; je ne suis sur terre que pour devenir chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil ; comme la promesse fallacieuse3 de m’emmener au cirque ou de jouer à faire la cuisine,tout ce qui peut m’arriver d’agréable en attendant n’est qu’un leurre4, une façon de me dorer la pilule pour me conduire plus sûrement à l’abattoir où, tôt ou tard, je dois être mené.

TEXTE 2 : Michel Tournier, Le Vent Paraclet, 1977.

C’est qu’à l’aube de ma petite préhistoire personnelle, il y avait eu l’Agression, l’Attentat, un crime qui a ensanglanté mon enfance et dont je n’ai pasencore surmonté l’horreur.
J’avais quatre ans. J’étais un enfant hypernerveux, sujet à convulsions, un écorché imaginaire, perpétuellement en proie à des maladies, les unes classiques, les autres totalement inédites, la plupart sans doute en partie d’origine psychosomatique5. Un matin deux inconnus firent irruption dans ma chambre ; blouse blanche, calot blanc, au front le laryngoscope6flamboyant. Une apparition de science-fiction ou de film d’épouvante. Ils se ruèrent sur moi, m’enveloppèrent dans un de mes draps, puis entreprirent de me déboîter la mâchoire avec un écarteur à vis. Ensuite la pince entra en action, car les amygdales, cela ne se coupe pas, cela s’arrache, comme des dents. Je fus littéralement noyé dans mon propre sang.
Je me demande comment on ranima la loque…