Dissertation

Communiquer : vérité et médias ?

Francis Balle
Professeur de Science politique à l’Université Panthéon-Assas (Paris2)

Les médias nous disent-ils la vérité ? Quelles vérités sommes-nous en droit d’attendre des journaux et des magazines ? Quelles vérités sont-ils capables de nous proposer, qu’ils soient imprimés, diffusés à la radio et à la télévision, ou bien encore accessibles parInternet ?

Avec les journaux quotidiens du 19ème siècle était né un espoir, celui d’une information enfin complète, objective et accessible à tous. Ainsi, les promesses de la démocratie pouvaient-elles s’accomplir, celles qui inspiraient les auteurs de la Déclaration américaine de 1776 et les acteurs de la Révolution française de 1789. Les journaux quotidiens, enfants légitimes des rotatives et deslibertés, vendus à des centaines de milliers d’exemplaires, d’abord en Angleterre et en Allemagne, puis en France et aux Etats-Unis, assignaient au journaliste une mission : informer ses concitoyens de l’actualité, leur dire « ce qui se passe », ce qui vient tout juste de se passer, ce qui va peut-être ou très probablement se passer. Emancipé à la fois de la politique et de la littérature, lejournaliste était devenu « l’historien du présent », selon la formule d’Albert Camus, comme on pourrait dire de l’historien qu’il est le journaliste du passé. La boucle était ainsi bouclée. La presse réalisait l’idéal démocratique. Et la démocratie, en retour, idéalisait la presse.

Il fallut très vite déchanter. Les désillusions, plus nombreuses d’année en année, ont pris le pas sur cet espoir que lesjournaux avaient fait naître. Un siècle après que le journal qui s’appelait alors le Petit Parisien, né en 1876, était devenu, avant 1914, le plus grand journal du monde, avec un million et demi d’exemplaires vendus chaque jour, après un demi siècle d’une télévision omniprésente, alors que les grands quotidiens sont pris en tenailles entre les journaux gratuits et les sites d’Internet, les médiasd’information sont aujourd’hui mis en accusation de tous côtés et dans des perspectives diverses : c’est toujours la faute des médias , la faute « aux » médias, comme on dit vilainement. Balzac écrivait déjà, en 1840 : « Si la presse n’existait pas, il ne faudrait pas l’inventer » Beaucoup pensent aujourd’hui de la télévision et de la Toile, sans trop le dire, ce que l’écrivain disait hier de lapresse, sans vraiment le penser. La liste est longue, depuis les faux charniers de Timisoara, en 1989, jusqu’au vrai faux journal de la télévision belge, en décembre 2006, de ces dérapages, de ces manigances ou de ces défaillances qui font peser sur l’information de redoutables soupçons. Jamais, pour nous informer, les médias n’ont été aussi nombreux et variés ; jamais pourtant l’information nenous a semblé à ce point insatisfaisante, à la fois insuffisante,imprudente, partiale ,voire orgueilleuse.

Pourquoi ce malaise dans l’information ? Pourquoi ce paradoxe d’une information à la fois omniprésente et inutile, surabondante et trébuchant néanmoins sur l’essentiel ? Sans doute l’information souffre-t-elle de l’hégémonie de la télévision. La presse imprimée semble avoir perdu la partie,comme dépassée, submergée ou subvertie par la télévision qu’elle suit ou qu’elle imite plus souvent qu’elle ne la précède ou la guide. Les journaux imprimés, pourtant, demeurent une terre d’élection pour l’information, après avoir été son lieu de naissance. Sans doute l’information est-elle également trop pressée : l’annonce d’une nouvelle exclusive et inattendue –ce qu’on appelle un « scoop »-prend le pas, parfois, sur d’autres exigences, la rigueur nécessaire, l’indispensable vérification, la précieuse mise en perspective. L’obsession de la vitesse fait courir, il est vrai, les plus grands risques à l’information, produisant sur ses destinataires un effet de sidération, contraire à la réflexion attendue. Sans doute enfin l’information aligne-t-elle ses méthodes, plus qu’il le…