Le carnaval était le moment du rire de fête, du rire général et sans entraves se manifestant par des bouffonneries et des insultes gratuites, des moqueries et plaisanteries, des parodies ettravestissements de la vie ordinaire. Ce rire populaire et collectif est épuisé: fini, comme tendance dominante, le rire agressif, le rire grivois, le rire scatologique. Le rire, irrémédiablement, se«civilise» dans la foulée de l’individualisation réflexive des mœurs. Rire à gorge déployée, le rire épais, non contenu, celui qui s’exprime avec tout le corps se fait plus rare tant il est synonyme devulgarité. Le monde festif s’est en grande partie délesté de son ancien caractère débordant d’allégresse. On ne cherche plus beaucoup à faire rire et à jouer, faire des farces, se moquer des autres, commettreles plus grandes effronteries. Les gens marchent, écoutent les orchestres, téléphonent, parlent en petits groupes, dansent à part, font du roller: ils rient peu, ils s’observent plus qu’ils ne separlent ou plaisantent ensemble.
La fête n’apparaît plus comme le moment privilégié du rire universel, du rire débridé: c’est dans l’espace privé, chez soi, devant la télévision que l’individuhypermoderne se montre hilare. L’homme qui rit n’est plus Homo festivus, c’est avant tout le consommateur de films, de variétés, de spectacles médiatiques. Ce qui n’a pas empêché Paul Yonnet de parler d’uneépoque «particulièrement retentissante de rires ». Mais de quel rire s’agit-il ? Certainement pas du rire communicatif, du fou rire, du rire de fête et de ses gesticulations intempestives. Pour étayer sathèse, Paul Yonnet met en avant des données statistiques, les scores d’audience réalisés par les émissions de télévision. Mais évaluer le rire contemporain au moyen de quelques éléments chiffréss’étalant sur une durée très courte est peu convaincant. D’autres données, d’autres périodes d’observation aboutissent à des conclusions fort différentes. […]. Et puisque le sociologue convoque la…