Eloge de la différence
Différence !plus que le mot lui-même, c’est le porteur de sens, le porteur d’altérité qui suscite diverses réactions chez les protagonistes de cette altérité. En vogue du côté des politiques avec les notions d’intégration, d’identité nationale, de multiculturalisme, de pluriethnisme, la différence est une notion dont on ne saurait se passer, une notion qu’il convientdonc d’apprivoiser afin d’en faire une amie, étant donné qu’elle affecte même des groupes humains supposés semblables. La différence est ce dont est faite la vie ; elle en est la beauté et l’orgueil.
Bien que faisant partie de notre condition, la différence n’est pas aisément acceptée, surtout lorsque du fait de l’histoire, d’une position sociale, politique ou intellectuelle on est placé du côtéconsidéré comme le bon côté dans une société donnée en fonction de ses valeurs et de sa hiérarchisation. Accepter la différence c’est accepter notre condition d’hommes, la vie étant faite de disparités, d’aspérités et de cavités. Si en certains endroits ou pour certaines personnes la vie est plane, pour d’autres elle est montueuse, vallonnée, et l’on peut apercevoir ça et là de petites rivièrestorrentueuses dans lesquelles, telles des truites, ces personnes se débattent avec ces courants tumultueux. C’est ainsi que la vie est faite de personnes de condition humble, de nantis, de nobles, de roturiers et de vauriens.
L’identité universelle du statut humain affirmé par le christianisme et tous les humanistes ne doit pas conduire à réduire tous les hommes sous le même rapport. Bien que notreégalité et notre identité résident dans notre dignité et valeur communes, les manifestations de l’humain par chaque personne sont singulières. Tout homme est unique. « Chacun des hommes, selon Bergson, a des dispositions particulières qu’il tient de la nature, et des habitudes qu’il doit a l’éducation qu’il a reçue, à la profession qu’il exerce, à la situation qu’il occupe dans le monde. Ceshabitudes et ces dispositions sont, la plupart du temps, appropriées aux circonstances qui les ont faites ; elles donnent à notre personnalité sa forme et sa couleur. Mais précisément parce qu’elles varient à l’infini d’un individu à l’autre, il n’y a pas deux hommes qui se ressemblent. »
Pourtant une certaine tentation à l’égalitarisme manifestée par une volonté de niveler tous les hommes, oublie qu’iln’est pas possible de modifier ce que la nature a gracieusement donné à une personne, ou encore que les expériences quoique similaires ne sont pas interchangeables. Tout enfant par exemple, ne vit pas la perte de ses parents de la même façon ; toute personne ne subit pas l’exile avec le même courage. Si l’on admet que nos différentes aptitudes, bien utilisées, nous exposent forcément à desfortunes diverses, il est donc normal que nos succès diffèrent. Ainsi il y’a des personnes douées pour les affaires, d’autres pour mener les hommes, d’autres pour la spéculation intellectuelle, d’autres développeront des dons artistiques. L’issue de tout ceci est un prestige différent selon le statut que l’on aura acquis et les rôles qu’on exercera dans une société donnée.
La culture européenne qui secaractérise par la volonté d’épanouissement et d’indépendance de l’homme en le libérant de toute attache rendant difficile l’avènement du sujet, contribue elle-même à effacer ce sujet tant les nouveaux modes d’êtres et de pensée récusent toute notion d’autonomie, d’indépendance de pensée et de liberté de choix. L’industrialisation de la production, la société de consommation ont érigé de nouvelleslogiques évinçant de façon subreptice nos capacités à choisir et ôtent, petit à petit, toute teneur à la notion de volonté.
L’occidentalisation du monde dont nous connaissons tous les causes exporte cette façon d’être à des régions dont les cultures, pour les plus fragiles, ont du mal à s’opposer à cette fécondation hasardeuse, adoptant volontiers ce qu’elle a de plus pernicieux. En tout cas…