Etre libre est-ce n’avoir aucune obligation ?
A première vue être libre, c’est faire ce qu’on veut, ce qui nous plaît quand ça nous plaît; c’est n’être pas obligé, contraint à quoi que ce soit. Ainsi notre liberté semble pouvoir se déployer tous azimuts sans entraves. Toutefois, quand je regarde autour de moi, quand je considère l’environnement social, les circonstances les lois civiles oules règles qui autorisent l’exercice de ma liberté en même temps qu’elles la délimitent, il apparaît que ma liberté ne peut être absolue c’est-à-dire sans obligation. C’est parce que j’ai des obligations morales, politiques que je suis considéré comme libre. Ainsi, je me sens moralement responsable de ce que j’ai accomplis librement. Le problème se pose donc de savoir si je puis réellement êtrelibre sans l’obligation, c’est-à-dire tout ce qui m’est imposé par la loi, la morale ou les circonstances, autrement dit si la liberté peut être affranchie de toute responsabilité.
I) Le point de vue du sens commun: liberté=absence de contraintes.
Pour le commun des mortels, être libre c’est faire ce qu’on veut quand on veut. La prison en est l’antinomie foncière. N’est pas libre celui qui subitdes contraintes physiques d’abord: séquestration, emprisonnement, esclavage, puis morales: endoctrinement, lavage de cerveau… Et l’on rejoint ici l’animal en liberté opposé à celui en captivité. Pour l’enfant, c’est un peu une liberté caprice où il peut mettre en valeur ses désirs, ses possibles sans entrave et tout son arbitraire.
A un niveau supérieur, c’est-à-dire du point de vue duphilosophe, cette liberté sans obligation est défendue par Nietzsche. Dire qu’un individu a des obligations, est responsable de ceci ou de cela, présuppose qu’on puisse distinguer un sujet qui choisit et les actions qu’il fait. J’ai fait ceci par devoir ou par obligation politique, mais j’aurais pu faire autre chose, j’aurais pu prendre mes responsabilités au lieu de les fuir, j’aurais pu respecter lesrègles morales, etc. Mais cette idée ne va pas de soi, elle a été inventée, affirme Nietzsche, par des êtres incapables d’accepter l’innocence du devenir et la noblesse de ceux qui s’inscrivaient spontanément dans les mouvements de la vie, s’y aventuraient avec l’aisance d’êtres assez forts et libres pour ne pas s’interroger sur leur liberté, et encore moins pour la ressentir comme un fardeau ouplutôt comme une contrainte ou comme une obligation. Les idées de liberté, de morale, d’obligation, de responsabilité sont des notions mythologiques, théologiques, inventées par les faibles pour pouvoir demander des comptes aux forts, les accuses, les culpabiliser, pour se venger d’eux. C’est ce que défendait déjà Calliclès dans le Gorgias de Platon. Nietzsche écrit dans la Généalogie de la morale: « Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre (…) les prêtres, chefs des communautés anciennes voulaient se créer le droit d’infliger une peine ou plutôt ils voulurent créer ce droit pour Dieu. »
L’idée de liberté liée aux obligations, surtout morales pour Nietzsche, charge l’humanité d’un fardeau qui se nomme la culpabilité,la morale, la responsabilité, l’accusation. L’homme ainsi « libéré » est comme le chameau qui s’agenouille et veut les plus lourdes charges, par exemple : « s’humilier pour faire mal à son orgueil » ou « tendre la main au fantôme lorsqu’il veut nous effrayer ». Unir liberté et obligation c’est lier la liberté à la responsabilité, c’est inventer la culpabilité, c’est être esclave.
Il en est demême dans le domaine politique. Pour les anarchistes, être libre c’est être dépourvu de contraintes politiques. « Ni dieu ni maîtres » disait Jean Grave. L’Etat est condamné parce qu’il est l’aliénation de la liberté, il est un obstacle pour l’anarchiste où vivre sa vie c’est faire ce qu’on veut. Qui dit obligation dit obéissance et l’obéissance est une abdication, une destruction de sa liberté…