Etudes Normandes n°2 1991
FABRICANTS ET NEGOCIANTS ALSACIENS A ELBEUF 1871-1900 : LIMITES D’UNE INTEGRATION
Jean Claude DAUMAS
1871 marque un tournant dans l’histoire d’Elbeuf car c’est l’année où des fabricants et négociants juifs natifs de Bischwiller arrivent en Normandie avec leurs capitaux, leurs usines et leurs ouvriers suite à l’annexion de l’Alsace par l’Empire allemand.
Cetteétude porte essentiellement sur le point de vue alsacien en ce qui concerne leur installation dans la ville, les caractéristiques de ses membres ainsi que leur intégration et ses conséquences pour l’unité de la ville.
L’installation à Elbeuf :
Pour Bischwiller, petite commune alsacienne située à 25 km au nord de Strasbourg, l’annexion du département s’est avérée catastrophique d’un point devue économique.
En effet, cette ville industrielle spécialisée dans le travail de la laine cardée due faire face aux clauses douanières du Traité de Francfort ainsi qu’à la Convention additionnelle du 12 octobre 1871 qui d’une part ferme le marché français c’est-à-dire la quasi-totalité des clients et d’autre part ne permet pas de commercer avec l’Allemagne qui pour des raisons de mode et de prixn’est pas intéressée par de tels produits.
Ainsi, la majorité des fabricants (75/96) choisissent d’immigrer vers la France.
En mars 1871, les Blin et les Fraenckel font un voyage de reconnaissance à Elbeuf, ce qui leur permet de trouver des ateliers et des logements vides.
La ville est choisie grâce à ses atouts importants : l’ancienneté de ses relations avec Bischwiller, sa prospérité à lafin du Second Empire, sa position sur la Seine permettant de recevoir à moindre coût les produits tels que le charbon et la laine venus du Havre, les abondantes ressources souterraines en eau ainsi que sa proximité avec Paris.
Les Blin et les Fraenckel vont alors faire venir leurs ouvriers à Elbeuf.
Cette immigration a une réelle importance car on estime que la colonie alsacienne aurait compté2 000 personnes.
« Bischwiller avait été absorbée par Elbeuf ». (André Maurois)
Cependant on peut s’interroger quant aux réactions des habitants de la ville d’Elbeuf face à l’installation de ce groupe d’alsaciens dans leur ville.
D’après un reportage publié dans les Archives Israélites le 1er juin 1872, la municipalité d’Elbeuf aurait encouragé et facilité les démarches des alsaciens, cependanton relève dans une partie de la bourgeoisie elbeuvienne des réactions de méfiance et d’hostilité envers ces nouveaux venus. La situation économique désastreuse de la ville après la guerre a amené les industriels elbeuviens à voir dans les négociants et fabricants alsaciens de rudes concurrents. Mais ce n’est pas tout, l’arrivée de cette petite communauté juive à aussi réveillée des sentimentsantisémites et une animosité envers des alsaciens qui ont des coutumes et un patois proches des allemands mais qui ont également un statut ambigu depuis la cession du département alsacien à la Prusse. Cette hostilité va d’ailleurs ressurgir périodiquement au moins jusqu’à l’Affaire Dreyfus.
Concernant les entreprises alsaciennes, on ne connaît l’activité des négociants qu’au travers desrapports d’inspection de la Banque de France pour la succursale d’Elbeuf : ce sont des affaires bien conduites, qui marchent bien et dont le crédit est solide ; leurs capitaux sont modestes mais la fortune personnelle de leurs patrons est souvent conséquente. Par exemple M. Mauss, de la maison Mauss et Bloch est plus que millionnaire.
A propos des fabricants, les sources sont plus importantes. On saitqu’à part les Blin et les Fraenckel, d’autres ont tenté l’aventure mais ce sont les seuls à avoir survécu.
Les frères Fraenckel se sont contentés dans un premier temps de louer les bâtiments, les machines et forces motrices : le 28 mars 1871, ils ont prit un bail pour un établissement industriel situé rue de la Barrière à Elbeuf pour un loyer annuel de 10 800F, le 30 mai 1871, pour 11 500F,…