FOOTBALL AMATEUR AU CAMEROUN: ENTRE CLIENTELISME POLITIQUE ET ECHANGES MUTUELS
Ce texte a été publié dans la revue « Politique africaine » n°118-juin 2010, p.103-121, et c’est cette référence qui doit être citée.
Politique africaine n° 118 – juin 2010 103
Désiré Manirakiza
Le football amateur au Cameroun se décline sous la forme des championnats de vacances et de tournois « deux-zéro ».Différentes de par leur localisation, leur fréquence et leurs règles, ces pratiques footballistiques renseignent sur les usages politiques et sociaux de ce sport extrêmement populaire. S’ils sont des lieux de promotion personnelle et partisane du personnel politique, ils sont également des moyens d’encadrement de la jeunesse par les « élites ». Les jeunes n’en sont cependant pas pour autantmanipulés sur les terrains de foot : ils y apprennent les règles de l’échange politique et y entrevoient diverses modalités d’accomplissement social.
Depuis plus de vingt ans, le football amateur s’approprie l’espace urbain, périurbain et rural et rythme le temps des villes et des campagnes camerounaises 1. Cette appropriation se matérialise par un double mouvement. D’un côté, le nombre dechampionnats de vacances organisés et financés par des élites, entendues ici comme l’ensemble des personnes qui occupent un statut élevé et/ou enviable dans la hiérarchie des positions sociales, ne cesse de croître. C’est dans un climat de concurrence que des hommes politiques, des entrepreneurs économiques, des jeunes diplômés et des célébrités du football camerounais originaires des différentes airesrégionales rivalisent pour promouvoir ces « moments de communion » organisés entre les populations d’un même terroir. De l’autre côté, le phénomène du « deux-zéro 2 » connaît une popularité inédite. Pratique autogérée du football, le « deux-zéro » se popularise entre la fin des années 1970 et le début de la décennie 1980. Phénomène majoritairement urbain, il suppose, dans sa version originale, laprésence sur le terrain d’au moins trois équipes. L’équipe qui encaisse deux buts à zéro cède la place à celle en attente. Concernant au départ des joueurs de la ligue ou du championnat camerounais retraités qui se rencontraient
1. Ce texte est un extrait remanié d’une recherche qui a été discutée au département de sociologie de l’Université de yaoundé i, et dont la réalisation a été financièrementsoutenue par le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria). Nous aimerions par ailleurs témoigner notre gratitude envers Susann Baller et Martha Saavedra, ainsi qu’envers les deux lecteurs anonymes, pour leurs critiques et suggestions constructives. Que Félix Armand Leka Essomba et Jean-Marcellin Manga Lebongo, qui ont accepté de lire le manuscrit de cetravail, trouvent également ici l’expression de ma profonde reconnaissance. 2. « Deux-zéro » est un condensé de « deux buts à zéro sort [du terrain] ».
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Dossier
104 Les terrains politiques du football
ainsi pour ne pas perdre les réflexes du terrain 3, il s’est au fil du temps généralisé et il concerne désormais toutes les couches sociales et toutes les générations. L’argumentmobilisé par les organisateurs pour expliquer l’expansion de ces deux pratiques footballistiques est qu’elles répondent, d’une part, au besoin social de divertissement et, d’autre part, à la volonté d’occuper les jeunes pendant leur temps de loisir. Selon ce discours, la pratique du football amateur n’obéirait à aucune autre finalité que la récréation et le divertissement. Cependant, l’analyse desappartenances sociales et politiques des membres, des promoteurs et des sponsors de ces équipes permet de constater qu’au-delà de la dimension purement ludique, le contexte du pluripartisme et de la compétition politique est l’un des éléments-clés pour comprendre la multiplication de ces tournois, qui s’inscrivent dans la recherche de constitution de clientèles et de loyautés souvent fondées…