LA CONSCIENCE PEUT-ELLE ETRE OBJECTIVE ?
Dans un sens trivial, la conscience consiste en la saisie immédiate du réel par l’esprit. Elle enregistre l’information du réel par la sensation, la sauvegarde dans la perception selon les affinités qu’elle y décèle pour la reproduire dans l’imagination. La conscience habite en quelque sorte le monde, elle est comme un sentiment intérieur que toute âme ad’elle-même. Mais elle serait par là toujours une conscience singulière, instantanée et évanescente. La conscience est aussi une objectivation du monde, sa construction en un monde rationnel. Elle a des règles (catégories et principes) qui la structurent pour formuler les lois qui président à l’existence et à la succession des êtres et des choses. Aussi s’agit-il de nous interroger sur ce quirend compossibles l’exigence rationnelle et objective et donc universelle de la conscience et ce fond irrationnel et subjectif du monde privé et parfois incommunicable qu’est le psychisme.
La conscience est investie par la sensation ou importe de la sensation dans ses expressions. Elle est riche d’émotions. Le monde fuse en elle comme un flux d’expériences éphémères, instables, plurielles. Lamodification ininterrompue de la vie intérieure, sans rivage, consiste en une mosaïque d’événements psychiques contiguës qui tapissent en quelque sorte le fond sur lequel se détachent des formes. Indifférents à la vérité et par là à la possibilité de l’erreur comme à la vraisemblance de l’opinion, à la distinction de l’intériorité et de l’extériorité, nous y dramatisons nos vies intérieures en mondesprivés que nos tenons pour des mondes absolus. Les phénomènes de la vie psychique, tels que l’oubli, l’intermittence de la conscience, le rêve, la vie passionnelle n’en seraient que des aventures. Sensible au temps, la conscience draine le lot du passé ; dispersée dans le renvoi labyrinthique du présent, elle a pour échéance un futur imprévisible et incertain, d’où le souci et la préoccupation.Ce sont ces aspects de la conscience qu’ont soulignés les psychologues, les moralistes ou les théoriciens de la connaissance. A sa racine, le psychisme est animé de forces, de pulsions, d’appétits, d’émois qui constituent un fond d’inclinations exagérées qui gauchissent la représentation intellectuelle ou dérèglent les conduites. Platon condamnait ce fond qui compromet la connaissance objective,Aristote le rejette car il fait perdre le jugement. Le naturel est passionnel et par là passif. La conscience est pour la psychanalyse un mythe, un leurre, en fait un symptôme de compromission. la conscience reste un théâtre d’illusions. Pour le philosophe de la connaissance, la conscience dans ses opérations intellectuelles cultivent le paradoxe, la contradiction, l’antinomie et le sophisme, àson insu et à l’envi.
On voit par-là que l’objectivité comme stabilité et permanence, conformité de la pensée avec le réel, cohérence et ajustement des raisons, est compromise par le psychisme irrationnel que serait la conscience comme vie psychologique. Pléthorique, impure, composite, incertaine, susceptible d’erreur et d’illusion, la conscience psychologique ne peut être ni une norme de l’action,ni un principe de connaissance. Sa précarité affective invalide toute prétention à la vérité. On comprend que son analyse par la pensée philosophique n’y voit qu’un inaccomplissement, une discontinuité, un désordre pour la connaissance. Il n’y aurait d’ailleurs pas de connaissance possible car soit l’objet fait défaut pour la conscience sensible asymbolique, aprédicative, adoxique, soit il estcontingent quand la conscience adhère immédiatement à des jugements portés sur la réalité sans passer par la pensée judicative ou le raisonnement enchaîné.
Pourtant la conscience n’est pas une mosaïque ou un simple enregistrement de faits sans scénario. Il y a des bonnes formes, des invariants. Je accompagne toutes mes représentations. La vie psychique tient de ce fondement inébranlable sa…