La contribution des mutuelles de solidarité à l’inclusion financière des ménages ruraux haïtiens
Emmanuel Pic – FLSEG – Université catholique de Lille
Résumé :
Depuis une quinzaine d’années, se développent dans le milieu rural haïtien des groupes d’épargne et de crédit sur le modèle des mutuelles de solidarité. Conçues dans le but de fournir des services financiers de base à leurs membres,largement exclus du système financier classique, ces mutuelles ont aussi vocation à favoriser la structuration du milieu dans lequel elles se développent. Le papier vise à identifier la contribution de ces mutuelles de solidarité à l’amélioration de l’inclusion financière de leurs membres, inclusion conçue comme l’accès à des services financiers de base indispensables à la gestion des flux derevenus et du patrimoine des ménages ruraux. Les mutuelles offrent des alternatives aux formes traditionnelles d’épargne et de crédit sans pour autant satisfaire la totalité des besoins. Ces limites tiennent pour partie au manque de ressources financières des mutuelles. Les difficultés d’appropriation de ces structures de financement décentralisées par leurs membres sont aussi à l’origine de blocagesdans leur développement et leur capacité à mieux répondre aux besoins en termes de services financiers. À travers l’exemple des mutuelles de solidarité haïtiennes apparaît le fait que la présence et l’usage d’institutions financières ne suffisent pas à garantir l’inclusion financière. La question de l’appropriation de ces institutions, c’est à dire de leur insertion dans les pratiquessocio-économiques des membres, demeurent essentielle.
Depuis une quinzaine d’années se développent en Haïti des structures décentralisées de financement dont l’archétype est la mutuelle de solidarité1 . Elles ont vocation à apporter à leurs membres des services financiers (épargne, crédit, secours) dont ils sont largement privés par ailleurs. Au delà de l’objectif de satisfaction de besoins financiers,les promoteurs des mutuelles de solidarité les conçoivent comme des vecteurs de la structuration du milieu rural et de son développement. L’objectif de ce papier est de proposer à partir d’une expérience de terrain, une réflexion sur la contribution de la mutuelle de solidarité à cet objectif, à travers le prisme de l’inclusion financière vue comme la première étape d’une transformation desconditions de vie des populations bénéficiaires. Laissant de côté la manière dont la mutuelle peut, et dans quelle mesure, contribuer à la structuration du milieu via la participation des membres, nous cherchons ici à montrer que la capacité d’inclusion financière de la mutuelle de solidarité est limitée d’une part par la manière dont elle a été conçue en réponse à un contexte particulier et d’autre partpar ce contexte. Ces limites apparaissent alors comme la résultante d’un défaut d’appropriation de leurs outils financiers par les membres des mutuelles.
La financiarisation du milieu rural haïtien
Comme ailleurs dans le monde, il existe en Haïti un processus d’approfondissement de la financiarisation de la société. Le milieu rural n’est pas à l’écart de ce phénomène. Sans doute prend-il desformes particulières mais, ici comme ailleurs, il se manifeste à la fois par une monétarisation croissante des dépenses, avec comme conséquence un développement des besoins d’intermédiation financière, et par une protection contre les risques recourant plus largement aux instruments financiers2.
La monétarisation croissante des dépenses.
Les ménages ruraux haïtiens ont toujours été fortementintégrés à une économie marchande dans laquelle ils obtiennent les revenus monétaires leur permettant d’assurer leurs dépenses. Même si, à la suite de l’indépendance en 1804, la production rurale s’est organisée autour des lakou3 puis s’est resserrée sur les lopins familiaux, il serait tout à fait erroné de penser que les ménages ont opté pour un mode de production autarcique4. La production…