La Loreley – Guillaume Apollinaire
à Jean sève
À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l’évêque la fit citer
D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté
Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcelerie
Je suis lassede vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé
Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour unpays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien
Mon coeur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j’en meure
Mon coeur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là
Mon coeur me fit si mal du jour où il s’en alla
L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu’au couvent cette femme en démence
Vat-en Lore en folie vaLore aux yeux tremblant
Tu seras une nonne vétue de noir et blanc
Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre
la Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le feuve
Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves
Là haut le venttordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là bas sur le Rhin s’en vient une nacelle
Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle
Mon coeur devient si doux c’est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
Introduction
Bacharach estune ville proche d’une falaise sur la rive droite du Rhin connue depuis l’Antiquité car l’écho s’y répète 7 fois. Loreley vient du moyen allemand lürelei (lüren : épier ; lei : rocher). Ce lieu est mélangé aux histoires fantastiques du Moyen Age. Apollinaire reprend la légende de cette femme qui séduisait les bateliers et leurs bateaux allaient se briser sur les rochers. Ce poème a été écrit en1902 et publié en 1904 ; il est situé au milieu du cycle des Rhénanes. Ce poème est composé de 19 distiques qui abordent le thème de la puissance maléfique de l’amour qui conduit à la mort. Comment Apollinaire réutilise-t-il cette légende ? Comment par des jeux d’échos et de brouillage confère-t-il à ce thème une nouvelle profondeur ?
Etude
Vers 1 : le poème commence par une indication de lieu,référence assez vague. Le poème commence comme un conte : « il y avait » renvoie à un temps passé. Il y a un oxymore à la fin du vers : « sorcière blonde » qui présente déjà la femme de manière négative. Comment une flemme blonde souvent associée à l’angélisme et à l’innocence peut elle être une sorcière ?
Vers 2 : l’expression « d’amour » est au centre du vers impair, ce qui permet d’insistersur le thème de la mort d’amour.
Vers 3-4 : les deux verbes au passé simple induisent des actions rapides qui traduisent l’effet foudroyant de sa beauté. Ces deux verbes d’actions successives sont renforcés par la paronomase (même son : « devant/ d’avance »). Ensuite, la préposition « à cause de » renforce le caractère inexorable de la séduction.
Vers 5-6 : l’amorce d’un dialogue (sansponctuation) apparaît et il y a des procédés de répétition qui marquent un changement de ton c’est à dire l’expression de la souffrance de la Loreley. Peu à peu, une intensité dramatique se crée. Pour la première apostrophe « ô belle Loreley », l’évêque s’adresse à elle en temps que juge.
Dans le quatrième et le cinquième distique, la Loreley a la parole ainsi que dans le septième distique, tandis…